Parti Communiste International

Les luttes en France contre la précarité du monde du travail

 

Janvier-mars 2006

L’assouplissement des règles sur le licenciement, individuel ou collectif, est un des mots d’ordre de la bourgeoisie au niveau mondial depuis les années de crise économique. Le monde anglo-saxon (USA et GB) sont à l’avant-garde ! Au niveau européen, le combat des patrons est déjà bien engagé ; ainsi l’Italie avec sa loi Treu, votée sous la gauche en 1997, et surtout la loi Biagi de 2003 ont introduit un arsenal de contrats d’une durée de quelques jours ou de plusieurs années qui peuvent être dénoncés à tout moment ! Voici les messages que la bourgeoisie française veut faire passer : « La France est en retard ! Devenez précaires pour le bien du capital international ! Travaillez plus tout en gagnant moins pour avoir le droit au travail mais sans avoir aucun droit à le garder ! Simplifions donc le code du travail et surtout tous les textes qui protégeraient le salarié ! Le libéralisme (la belle blague) est l’avenir de l’humanité ! »

Voyons quelle est la situation en France

L’organisation du monde du travail s’est profondément transformée en France depuis le début des années 70. En 1975, l’industrie employait un peu plus de 6 millions de salariés. Après les restructurations dans la sidérurgie, l’automobile, le textile, en 1986 ce chiffre est descendu à 5 millions et fin 2005 à moin de 4 millions. En outre, il y a eu une arrivée massive des femmes. Le nombre d’hommes actifs n’a guère évolué (14 millions entre 1980 et 2005), alors que pour les femmes il est passé de 9,6 millions à 12,3 millions et celles-ci se sont pliées à des métiers et des conditions de travail plus précaires. Enfin, troisième grand bouleversement, il y a eu la croissance exponentielle du secteur tertiaire de 9,5 millions d’emplois en 1975 à plus de 16,8 millions en 2003 avec des pratiques d’horaires flexibles dans l’informatique, les services en ligne, la grande distribution, etc...

Le taux de chômage ne fait que grimper depuis le début des années 70 ; il a été multiplie par 5 : de 2% en 1970 de la population active, pour arriver à un taux de chômage de 9,5% en 2006, selon les chiffres officiels. Ainsi « ils » dénombrent 2,4 millions de chômeurs alors qu’en réalité si on comptabilise toutes les catégories de chômeurs recensées par l’INSEE, les personnes « radiées » et ceux qui ne s’inscrivent pas l’ANPE, on atteint le chiffre de 5 millions, soit 15% de chômeurs. Or chez les jeunes qui ne poursuivent pas d’études, le taux est de 23% (un peu en dessous de l’Italie qui a le taux de chômage pour les jeunes le plus haut d’Europe).

Depuis deux ans l’économie française est en récession comme l’Italie, l’Allemagne. Le nombre de smicards (salariés rémunérés sur la base d’un salaire minimum de 1000 euros) a atteint en 2005 son plus haut niveau historique depuis 20 ans avec 2,5 millions de personnes soit 16,8% des salariés hors agriculture et intérim. Nous ne détaillerons pas toutes les mesures prises par la bourgeoisie française pour encadrer la précarité du monde du travail qui en France prend l’aspect d’un arsenal juridique extrêmement complexe et souvent incompréhensible pour le salarié. Les mass-media doivent faire passer le message que la législation du travail en France est bien plus favorable que dans les autres pays et que les travailleurs doivent donc accepter de faire quelques concessions. En fait le code du travail se vide lentement mais sûrement, non de ses textes, mais de son contenu de protection et ceci depuis des décennies et avec le silence consensuel des centrales syndicales qui participent à toutes les négociations ! D’autre part, pour lutter contre la compétition internationale, la bourgeoisie doit aider le patronat en diminuant les salaires, les charges sociales et en rendant le travail plus précaire pour faciliter les allées et venues (embauche et licenciement) de main d’œuvre. En France, il y a plus de 6 millions d’entrées et de sorties dans l’emploi par an.

Venons-en aux événements actuels. Qu’y-a-il derrière les agitations de notre jeunesse ? Depuis 1974, l’Etat de la droite à la gauche a semblé vouloir favoriser l’embauche des jeunes en créant des « contrats d’aide à l’emploi » dans lesquels les employeurs étaient exonérés de charges sociales et l’Etat payait une partie du salaire. Un dernier contrat de ce type s’appelait le « nouveau contrat jeune » en 2002. Mais la précarité persistait évidemment. Un jeune doit compter entre 8 à 11 ans pour avoir un emploi stable, selon les études officielles. Mais la bourgeoisie a une bien plus belle ambition : celle du contrat unique pour tous les salariés quelque soit leur âge. Le CDD (contrat à durée déterminée) ainsi que le CDI (contrat à durée indéterminée) ont fait leur temps !

Apparaissent ainsi d’autres appellations. Le CNE (contrat nouvelle embauche) a été crée en août 2005 (tout le monde était en vacances ! En plus le vote des élections européennes en France avait complètement désavoué la politique économique dite libérale prônée par la grande Europe de droite à gauche ; c’est pourquoi le texte sur la CNE a été voté dans la discrétion. Une petite manifestation a eu lieu en octobre contre le CNE et pour le pouvoir d’achat). Il s’agissait d’un contrat à durée indéterminée qui concernait les entreprises de moins de 20 salariés et sans restriction d’âge pour le salarié embauché, contrat qui pouvait être rompu sans motif durant les deux premières années. Le gouvernement affirmait vouloir créer des embauches en taisant surtout les règles de précarité qui s’y cachaient avec une flexibilité complète de licenciement, un coût de licenciement pour l’entreprise inférieur à celui d’un CDI, etc... Mais aussi ce CNE ne coûtait rien à l’État contrairement aux contrats aidés (5000 à 50 000 euros par an et par emploi). Comme on pouvait s’y attendre ce CNE ne favorisa pas l’embauche puisque le licenciement se faisait facilement, mais plutôt permettait le licenciement en fonction des fluctuations des besoins de l’entreprise et ceci sans justification.

Le gouvernement et le patronat ont encore quelques pas à faire avant de proposer au travailleur le contrat unique, c’est-à-dire la précarité totale pour tous les salariés.

Le gouvernement du 1er ministre De Villepin continue le travail en pressant le pas, omettant de dialoguer avec les syndicats dont la CFDT, le partenaire de tous les gouvernements et de toutes les « réformes ».

Une étude d’économistes français a fait le point sur 6 mois de ce CNE démontrant son « instabilité » pour les embauches (!) et proposant que ce contrat soit appliqué à toutes les entreprises quelque soit leur taille pour augmenter son efficacité. L’Etat utilise l’argument mais en destinant ce super contrat seulement pour les jeunes de moins de 26 ans. Il s’appelle le CPE ou contrat de première embauche ou contrat pour « l’égalité des chances » (puisque la jeunesse a des chances inégales devant ... les autres salariés) ! Ah jeunesse, avec des mots pareils, il vaut mieux se méfier. Nous sommes en février 2006. Les universités s’agitent et cherchent un lien avec les salariés. Les centrales syndicales s’enflamment ainsi que les partis de la « gauche » : il s’agit en effet d’institutionnaliser la précarité du monde du travail, même si le processus est déjà bien en cours et qu’ils y ont bien participé.

Les manifestations vont se succéder avec un chiffre croissant de manifestants ; au début surtout des étudiants, puis les salariés. Le gouvernement se montrera inflexible.

Le lundi 7 février: 400 000 manifestants pour toute la France (218 000 manifestants selon la police). Le jeudi 23 février, des milliers d’étudiants manifestent contre le CPE à Paris, Rennes, Toulouse alors que les sénateurs examinent le projet de loi. Le mardi 7 mars, syndicats de salariés (CGT, CFDT, FO, SUD, FSU pour les enseignants, Unef pour les étudiants), partis politiques avec le PS en tête, sont là pour manifester avec les salariés et les étudiants ainsi que des lycéens. 20 universités sur 84 sont bloquées ou en grève depuis des semaines et l’ « opinion publique » selon la presse est hostile au CPE ! On compte un million de manifestants selon la CGT (396 000 manifestants selon la police), dont 125 000 étudiants dans 160 villes et 200 000 à Paris. Mais les transports sont peu concernés. La grève dans les universités se propage : 45 universités en grève à la fin de la semaine.

Le gouvernement reste de glace et la loi doit être soumis au vote définitif du parlement le 8 mars. Le samedi 11, la Sorbonne occupée depuis 3 jours, est évacuée par les CRS. Un nombre croissant de présidents d’universités prend position contre le CPE.

Les syndicats se réunissent le 9 mars au siège de la CFDT qui semble mener la lutte. Sont présents la CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, UNSA, Solidaires, Unef, Confédération étudiante, UNL et la FIDL pour les lycéens. Ils décident d’une journée de manifestations pour le jeudi 16 mars et le samedi 18 mars (sur l’insistance des syndicats de salariés pour lesquels le samedi est bien mieux qu’un jour de semaine pour manifester !). La manifestation du jeudi 16 mars rassemble 500 000 personnes selon les organisateurs et des affrontements violents ont lieu avec la police et des manifestants entre eux (les « casseurs ».. : extrémistes ou sous prolétaires des banlieues ?). La manifestation du samedi 18 mars rassemble 1,5 millions de personnes (500 000 selon la police) dont 100 000 à Paris autour des leaders syndicaux et du PS. Des affrontements ont lieu avec la police et un militant du syndicat Sud est grièvement blessé (il est toujours dans le coma) par la police.

Villepin reste de marbre et les syndicats refusent toute négociation avant le retrait de la loi et menacent de lancer une grève générale (si les salariés pouvaient les prendre aux mots). L’intersyndicale qui s’est créée va ainsi appelée à « une journée d’action interprofessionnelle avec arrêts de travail, grèves et manifestations » pour le mardi 28 mars, évitant ainsi le terrible vocable de grève générale récusée par la CFDT ! Le gouvernement ne veut toujours pas céder et pourtant Villepin le 20 mars reçoit les représentants du patronat qui sont d’accord pour modifier la loi sur les deux points « épineux » : motiver le licenciement (à condition que la motivation ne soit pas écrite et ne puisse pas servir de recours au Prud’homme) et réduire le CPE à un an. En effet, le CPE concerne surtout les petites entreprises et le problème de fond est pour le patronat de mettre à plat le code du travail, beaucoup trop compliqué (et plus protecteur) en France par rapport à d’autres pays !

Le jeudi 23 mars, 450 000 personnes manifestent (220 000 selon la police). Des incidents violents surviennent avec des « jeunes » des banlieues du 93 qui s’attaquent aux policiers et aux jeunes manifestants.

Les syndicats et Villepin commencent à craindre une radicalisation et d’être débordés par la manifestation du 28. Le 24 mars une parodie de rencontre a lieu à Matignon entre une partie des syndicats qui avaient juré ne pas négocier avant le retrait de la loi (CGT, CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC) et Villepin qui reçoit le lendemain les organisations étudiantes. Mais Villepin ne recule toujours pas, même sur le point de l’absence de motif de licenciement ! La veille du 28 mars, les responsables des services d’ordre syndicaux et étudiants sont reçus par le ministre de l’intérieur, Sarkosy, pour définir une stratégie contre les casseurs qui s’attaquent aux jeunes dans les cortèges : les policiers en civils seront donc acceptés... Il s’agit là surtout d’éviter tout débordement ; ce que craignent la bourgeoisie et les centrales syndicales, ce n’est pas la rage des « casseurs » des banlieues (un service d’ordre bien organisé aurait suffi à les contrôler. Lors des manifestations de 1968, les étudiants organisaient un service d’ordre musclé avec casque et barre de fer pour affronter les extrémistes de droite et les «autonomes» très virulents !), mais la rage des salariés ! Les syndicats auraient refusé que les manifestants soient « protégés par des grilles » : qui veut-on vraiment mettre en cage ?

Le mardi 28 mars, 3 millions de personnes manifestent selon les organisateurs, soit plus que pour la grève de décembre 95 contre le plan Juppé et celle de mars 2003 contre la réforme des retraites ! Les « débordements » sont strictement contrôlés par les services d’ordre des syndicats et surtout par les forces de l’ordre.

Au lendemain de ce «triomphe populaire», les députés UMP (du parti du premier ministre) se désolidarisent de lui. En effet, il est évident que les salariés sont exaspérés par la situation sociale, par l’augmentation de la précarité qui prend de plus en plus l’aspect de la misère économique. Villepin insiste pourtant et demande la promulgation immédiate de la loi. L’intersyndicale ne sait plus à quel saint se vouer ! Qui fera donc céder le Prince ? Pour ne pas s’adresser aux salariés, elle écrit une lettre au président de la République, Chirac, partisan non équivoque de la loi, pour qu’il intervienne ! La farce continue mais si elle est grotesque, c’est surtout les jeunes et les salariés qui sont à nouveau trahis. Que renaisse le mouvement de classe avec des organisations syndicales dignes de ce nom, et qu’il montre ses crocs à la bourgeoise pour que cesse cette sinistre comédie !

 

Vive le Parti Communiste International !