Parti Communiste International
Juillet 2012
LA SYRIE ENTRE HEURTS DE CLASSES ET MANOEUVRES IMPERIALISTES (1)

Carte de la Syrie
 

Moyen-Orient


Dès mars 2011, quelques mois après les évènements de Tunisie et d’Égypte, que la presse bourgeoise en mal de sensations, qualifiait de «printemps arabe», démarraient dans de nombreuses villes syriennes parmi lesquelles Hama, Der’a, Homs, Baniyas, Jable, Deir-el-Zor, Lattaquié, Al-Rastan, Qatana, et aussi Douma, banlieue de la capitale Damas, de multiples manifestations de protestation contre le gouvernement actuel de Bashar al-Assad, manifestations qui dans certaines villes se sont transformées ces derniers mois en heurt armé.

Le régime a immédiatement accusé des «forces obscures» manœuvrées par des conspirateurs étrangers de vouloir déstabiliser le pays et n’a pas hésité dès les premières semaines à recourir à l’armée contre les manifestants.

Selon les Nations Unies, depuis le début des manifestations jusqu’en février 2012, plus de sept mille personnes auraient perdu la vie lors de ces affrontements, mais ces informations sont à prendre avec prudence car la propagande de guerre provient des deux côtés et il est difficile de faire le tri.

La question syrienne est complexe et balance entre la situation sociale intérieure et les déterminations provenant du colonialisme ancien et des impérialistes modernes.
 
 
 

LA SITUATION DU MOYEN-ORIENT EST LE PRODUIT DIRECT DU HEURT ENTRE LES GRANDES PUISSANCES IMPÉRIALISTES

Le Levant constitue un point stratégique, un carrefour terrestre, maritime et désormais aérien.

Le Levant est la partie de l’horizon où le soleil se lève pour les pays de l’Occident, et désigne la Méditerranée orientale, soit la Syrie, le Liban, Israël, la Jordanie et la Palestine. C’est la grande fenêtre de l’Asie Mineure, la route conduisant aux Indes, et désormais une voie de passage pour le pétrole, et le gaz.

La Syrie physique était limitée jusqu’en 1910 sous les Ottomans au nord par les montagnes du Taurus, à l’est par les déserts de Syrie et l’Euphrate qui les séparent de l’Irak, au sud la mer rouge, à l’ouest la méditerranée. A l’intérieur de la Syrie, se trouvait la région du Liban, limitée au nord et à l’ouest par le sandjak 2 de Tripoli et le Vilayet 3 de Beyrouth, à l’est par le Vilayet de Damas, et au sud par celui de Saïda. Après les massacres de chrétiens par les Druzes en 1860, la France obtint des Ottomans un statut autonome pour une zone réduite au Mont Liban, dans l’arrière pays de Beyrouth., ayant à sa tête un gouverneur chrétien nommé par la Porte.

La France d’avant guerre était la puissance coloniale prépondérante dans la région en raison d’une présence ancienne depuis de nombreux siècles, avec un protectorat catholique sur les communautés chrétiennes du Moyen-Orient, et des investissements économiques, principalement dans la «Syrie naturelle» ottomane (Syrie gréco-biblique située entre l’Anatolie, la Mésopotamie, la Méditerranée et le Sinaï: actuellement la Syrie, Israël, Liban, Jordanie et Palestine).

Avant la première guerre mondiale, époque où la France et l’Angleterre demeuraient les deux plus grandes puissances coloniales, et alors qu’émergeaient leurs concurrents allemand et américain, la bourgeoisie française considérait le Levant comme une chasse gardée, et surtout un moyen de couper la route des Indes aux Britanniques. Depuis des siècles, elle s’était faite protectrice des chrétiens d’Orient au travers d’accords commerciaux avec les Ottomans (les capitulations ou conventions depuis François 1er à Louis XIV) que ces derniers étendirent ensuite à d’autres pays comme la Grande Bretagne, la Prusse, l’Espagne et les États-Unis en 1860. Elle se disputa donc la région avec son compère anglais, puis entre les deux guerres mondiales avec les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne. Le monde colonial éclaté, la deuxième guerre mondiale permit une nouvelle répartition du monde entre les impérialismes russe, américain. Mais plus récemment, le dernier venu, le concurrent chinois demande sa part; le territoire du Levant est devenu un théâtre de rivalités et un lieu de confrontations inter-impérialistes ininterrompues.
 

Rappelons quelques faits de l’époque moderne qui fournissent le fond du tableau

Les accords de Sykes-Picot en 1916, entre la France et la Grande Bretagne, alors que le premier conflit mondial n’était pas encore terminé, offrirent la Syrie et le Liban à la première, la Palestine et la Mésopotamie à la seconde. Les Britanniques soutinrent pourtant en 1918 la nomination au trône de la région syrienne leur allié, l’émir Fayçal, du clan des Hachémites, fils de l’émir Hussein de la Mecque, à qui ils avaient promis par l’intermédiaire du Colonel Lawrence, un grand royaume arabe, et qui depuis 1916 menait la lutte aux côtés des Anglais. En novembre 1917, le ministre des affaires étrangères britanniques, Balfour, avait également promis aux sionistes l’établissement d’un foyer national juif en Palestine ce qui ne plaisait guère aux nationalistes arabes. L’idée d’un État-tampon juif pour limiter l’influence française d’abord puis ensuite pour faire obstacle à un mouvement arabe était déjà en germe 4.

A Damas, en octobre 1918, les nationalistes syriens faisaient allégeance à Hussein, qui s’affirma comme roi de tous les arabes.

Mais les Français débarquaient aussitôt à Beyrouth. Fin 1919, la Grande Bretagne signifiait à Fayçal qu’elle retirait ses troupes de Syrie en octobre, ainsi que les subsides qu’elle lui versait. Les Britanniques n’avaient en effet plus les moyens de rester militairement en Syrie, devant consolider leur présence en Palestine et en Mésopotamie. Quant aux Américains, passés l’engouement pour défendre les peuples d’Orient et leur autodétermination par la voix du président Wilson, leur Congrès se prononçait pour un désengagement «apparent» des affaires orientales. Les anglo-américains en vinrent rapidement à parier pour maîtriser la région, plus sur les indépendances de petits États, opposés entre eux, que sur le colonialisme.

Abandonné des britanniques, Fayçal tenta de négocier avec la France et obtint de Clémenceau en janvier 1920 des accords selon lesquels la France s’engageait à aider la Syrie pour son indépendance. Cet accord fut mal accueilli en Syrie où des manifestations éclatèrent en faveur de l’indépendance sans tutelle. Le 20 juillet 1920, les troupes françaises marchaient sur Damas pour obliger Fayçal à accepter le mandat français. Le 24, les troupes chérifiennes étaient défaites et l’armée française pénétrait à Damas, où elle était accueillie sans enthousiasme. Les Anglais offrirent le trône irakien en 1921 à Fayçal qui le garda jusqu’en 1933. A son frère, ils offrirent la TransJordanie, morceau de la Palestine mandataire britannique.

Le système des mandats apparut juridiquement après la première guerre mondiale et répondait au message des américains sur l’autodétermination des peuples «libérés»; les territoires détachés des empires vaincus étaient placés sous la tutelle de la Société des Nations, créée à la conférence de la Paix de Versailles en 1919 (à l’instigation du président américain Wilson) confiés à l’administration d’une puissance mandataire. Mais le mandat était provisoire et devait amener à court terme les peuples à se gouverner eux-mêmes. En 1920 la conférence de Londres attribuait les mandats de Mossoul en Irak, de la Mésopotamie, et de la Palestine aux Britanniques, celle de San Remo le mandat de la Syrie aux Français, et à celle de Sèvres la Turquie ratifiait toutes ses pertes.

Les Français organisèrent leur mandat sur la Syrie en 5 régions bien distinctes à partir de la capitale administrative de Beyrouth en se basant sur la séparation des communautés religieuses: le grand Liban (Au Liban, province ottomane autonome depuis 1864 réduite à sa montagne le Mont Liban, fut ajoutée une bande côtière avec Beyrouth et Tripoli, un des plus grands ports du Levant et les plaines fertiles de la Bekaa, aux dépends de la Syrie) où se trouve la communauté majoritaire chrétienne maronite, et la fédération des 4 États de la Syrie à majorité arabe. La Syrie «historique» que l’on décrit dans les livres d’histoire française du début du XX° siècle étendue du Mont Taurus à la mer rouge, se trouvait ainsi amputée du Liban et de la Palestine, et transformée en plusieurs «pays» nés dans l’antagonisme les uns des autres: le grand Liban, la Syrie (beaucoup plus étendue que le grand Liban !), la Transjordanie, et plus tard en 1948, Israël. La Fédération syrienne du mandat français comprenait donc: les deux grands États de Damas et d’Alep (à majorité sunnite, ils fusionnèrent en 1925), le Territoire des Alaouites – comprenant le port de Lattaquié qui constitue la seule ouverture restant à la Syrie – le Djebel druze au sud de la Syrie (Il sera intégré à la Syrie en 1936) respectant le peuplement druze dans la montagne. La France, de façon à anéantir les velléités d’indépendance, faisait levier sur les différences ethniques et religieuses, en particulier sur les minorités des chrétiens, des musulmans alaouites et druzes, pour garantir un contrôle facile et aisé sur la majorité musulmane sunnite du pays, confiant à ces minorités les grades inférieurs, comme les Anglais l’avaient fait en Inde avec les Sikhs. Le vieil adage romain du «diviser pour mieux régner» était et reste encore valide et scrupuleusement appliqué. L’État syrien actuel respecte toujours l’assise territoriale des solidarités confessionnelles.

Une simple union douanière réunissait désormais les territoires libanais et syriens. La France ne jouera pas la carte du nationalisme arable qu’elle considérait à juste titre comme l’instrument utilisée par son concurrent anglais. Elle espérait par la division de la Syrie maintenir sous éteignoir les aspirations nationalistes arabes, en isolant les sunnites favorables à Fayçal.

En juillet 1922, l’Acte de Londres émanant de la Société des Nations, créée après la première guerre mondiale, et ancêtre de l’ONU, confirmait le mandat français accordé par le traité de Sèvres, et entérinait la séparation du Liban de la Fédération syrienne.

En 1925, alors que la révolte d’Abd el Krim au Maroc triomphait, une révolte druze en faveur du nationalisme arabe et de l’indépendance de la Syrie, contre le mandat français, partait du Liban, et enflammait la Syrie durant deux ans La répression de l’armée française fut féroce et impitoyable.
 

Découpage administratif sous le mandat français

 
La Syrie sous mandat fut gouvernée successivement par 12 Hauts commissaires français. Parmi ces douze Haut-commissaires, six étaient des militaires et les six autres des civils, diplomates ou haut-fonctionnaires. Il est intéressant de noter que la politique française au Levant a été exercée d’une manière directe par les généraux Gouraud, Weygand et Sarrail entre 1920-1925, tous les trois chefs militaires prestigieux de la guerre 1914-1918 et imprégnés d’esprit colonial. Après la fin des troubles et de la grande révolte syrienne en 1925-1926, la Syrie fut gouvernée d’une manière relativement libérale, avant de reprendre la voie de l’administration directe de la France au commencement de la Seconde guerre mondiale en 1939. Ainsi le mandat fut inauguré en 1925 par un militaire, le général Gouraud, et un autre militaire le général Beynet achevait, le 15 avril 1946, l’évacuation des troupes française en Syrie.

Entre les deux guerres mondiales, le Levant était déjà une pièce majeure de l’échiquier mondial. L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie soutenaient les Turcs et les nationalistes arabes. A cela s’ajouta l’influence soviétique sensible au nord et l’immigration juive en Palestine qui progressait.

En 1939, les Turcs annexaient le sandjak d’Alexandrette, à la frontière syrienne. L’évacuation de ce territoire par les troupes françaises fut le prix à payer pour s’assurer la neutralité turque durant la deuxième guerre mondiale. Elle fut très mal perçue par les Syriens, s’estimant trahis par l’État mandataire accusé d’avoir marchandé une partie du territoire national.

En 1945, le général Oliva-Roget faisait bombarder Damas et son Parlement. Cet acte inconsidéré, qui causa la mort de plusieurs centaines de civils, servit de prétexte à une intervention anglaise contre les troupes françaises. Humiliation cuisante à laquelle succéda une non moins cruelle humiliation: l’expulsion sans ménagement des Français de Damas. Le naufrage du mandat était consommé. L’indépendance de la Syrie, reconnue en 1941, se réalisait en 1946, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Après l’indépendance de 1946, le pays connut une grande instabilité politique. En 1955 dans le contexte de la guerre froide entre USA et URSS, le pacte de Bagdad était signé sous l’impulsion des anglo-américains qui cherchaient à contenir la poussée russe 5 sur le Moyen-Orient. Irak, Iran, Pakistan formaient ainsi un bouclier terrestre pour l’impérialisme US dominant la région. En 1955, la Syrie se tourne vers l’URSS, et un premier contrat d’armement est signé, suivi d’une coopération économique comprenant le financement d’industrie et d’infrastructures, comme le chemin de fer Alep-Lattaquié, l’irrigation, etc. En 1958, la Syrie rejoignit le frère égyptien dans la République Arabe Unie sous la protection de l’URSS, mais cette union éclatait en 1961. La coopération avec l’État russe se poursuivit avec l’arrivée au pouvoir en 1963 du parti « socialiste» Baath qui instaura le «socialisme arabe» sur le modèle du «frère» égyptien, et se lança dans une importante réforme agraire et une politique de nationalisations. En 1966, l’URSS consentait un prêt de 450 millions de dollars pour des travaux comme ceux des ports de Tartous et Lattaquié, et la construction de barrages. En 1970, le désastre de la guerre des six jours avec Israël en 1967 permettait l’arrivée au pouvoir dans le pays et dans le parti Baath du général Hafez al Assad. Ce dernier qui aidé de son allié soviétique, allait se débarrasser des fractions socialistes et communistes syriennes – on peut faire un triste parallèle avec l’histoire irakienne. Il proclama l’état d’urgence, imposant de fortes limites aux libertés civiles et politiques de la population, et attribua de vastes pouvoirs à l’armée et à la police. Ce furent ensuite en 1973, la guerre israélo-arabe et celle du Liban en 1976. La Syrie reçevait de l’allié russe des Mig 23, un report de sa dette, et l’URSS obtint en contre-partie un accès aérien et maritime avec une base navale à Tartous, situé à 30 km de la frontière libanaise, créée en 1971. Elle constituait et constitue toujours l’unique base soviétique en Méditerranée; deux base navales britanniques lui font face à dans la partie turque de Chypre. En 1980, un traité de coopération entre la Syrie et l’URSS était signé, et les conseillers militaires soviétiques passaient de 1 000 en 1980 à 6 000 en 1983; des bases de missiles étaient implantées à Homs et à Dmeir, près de Damas. En 1982, le régime écrasait sauvagement l’insurrection encadrée par les Frères musulmans à Hama, à majorité sunnite, suite à l’arrestation d’imams fondamentalistes, répression qui fit des milliers de victimes.

En 1990, l’URSS s’effondrait et n’eut plus les moyens d’avoir une présence au Moyen-Orient; la base navale de Tartous était désaffectée. Hafez se tourna alors vers les USA et accepta d’entrer dans la coalition qui combattit l’Irak après que ce pays eût envahi le Koweit.

A partir de 2003, la Russie redressait la tête et Poutine réaffirmait sa présence au Moyen-Orient. Il proposa son aide à la Syrie où en 2000, Bachar Al Assad avait pris la succession de son père et y asseyait le clan familial qui appartient à la minorité religieuse des alaouites. La base navale russe de Tartous était réhabilitée en 2008. En 2010, la Russie aurait vendu à la Syrie pour 529 millions d’euros d’armements divers.

Les Alaouites constituent une branche hérétique du chiisme, ce qui alimente la thèse des idéologues bourgeois d’un croissant chiite (Liban, Syrie, Iran, Irak) en conflit avec le monde sunnite: Turquie, Syrie, Arabie Saoudite et Qatar. Cette union religieuse serait responsable de l’instabilité actuelle dans la région, alors qu’il faut se mettre un voile non seulement sur la tête mais sur les yeux pour ne pas voir que les conflits dans le monde arabe sont le fait de la guerre de partage entre les grands impérialistes mondiaux et de la crise économique du capital.

Les divisions entre les groupes sociaux ne se sont jamais estompées; au contraire elles se sont exaspérées avec les répercussions de la crise impérialiste mondiale sur le pays: la rapide aggravation des conditions de vie des classes pauvres a allumé la mèche qui a propagé en Syrie, comme dans les autres pays du Maghreb, l’incendie de la révolte.

La minorité alaouite – qui malgré une faible vague de privatisations, s’est emparée des morceaux vitaux de l’appareil productif syrien – a clairement compris qu’il n’est plus envisageable de procéder au moindre partage du pouvoir avec la majorité sunnite. Les Alouites avec les chrétiens détiennent le pouvoir économiques et celui militaire où ils sont insérés à tous les niveaux. La communauté druze au sud de la Syrie soutient aussi le régime de Bachar. Pour la plupart d’entre eux, il s’agit désormais pour maintenir leur main mise sur l’économie du pays et ses richesses, d’une lutte à la vie ou la mort.

Dans la lecture marxiste de l’histoire, nous savons, que habituellement, derrière ce paravent religieux, se cachent des intérêts économiques de classe. Il est certain que les ennemis du prolétariat syrien se trouvent dans tous les groupes nationaux, sans parler de celui de la pseudo gauche internationale. La classe dominante dans ce pays revêt différents aspects religieux, certains avec des oripeaux démocratiques, mais n’en reste pas moins pour le prolétariat syrien, son ennemi de classe.
 

DONNÉES ÉCONOMIQUE DE BASE

Actuellement le nombre des habitants en Syrie s’élève à environ 22 millions, 35% de la population a moins de 14 ans. La population urbaine représente 56% du total et croît de 2,5% par an. Les villes principales sont Alep au nord avec environ 3 millions d’habitants, Damas au sud avec 2,5 millions, Homs au centre avec 1 300 000 habitants, et Hama, au centre, 850 000.

Les musulmans sunnites représentent 74% de la population, les autres musulmans incluant les chiites et les Druzes, 16%, et les chrétiens 10%, les communautés hébraïques florissantes avant la première guerre mondiale à Damas, Alep et Al Qamishli ne rassemblent désormais, malgré les efforts de la famille Assad pour les retenir, que quelques centaines de membres fort âgés.

Le produit intérieur brut, en 2010, provient du secteur agricole pour 17%, de l’industrie pour 27%, des services pour 56%. Les six millions de travailleurs se partagent pour 30% dans l’agriculture, 17% dans l’industrie et 53% dans les services.

La partie utilisable pour l’agriculture est celle voisine des deux principaux fleuves: l’Oronte, qui descend des monts du Liban au sud et court vers le nord parallèle à la côte, arrosant Homs et Hama, ensuite l’Euphrate, qui traverse l’intérieur du pays irriguant 20% de la terre, tandis que la plus grande partie du territoire est montagneuse et désertique. Le secteur primaire emploie une partie notable de la force de travail et contribue à 10% des exportations, garantit l’approvisionnement en matières nécessaires à l’industrie textile, une des plus importantes du pays, et participe à la subsistance alimentaire de la population. La culture stratégique du pays est le coton avec 25% du total des exportations agricoles, mais sa production a diminué en 2010 de plus de 25%, et correspond à la moitié de celle de 2008. Cette production exige de grandes quantités d’eau, et augmente par conséquent le problème des ressources hydriques du pays.

Le pétrole, avec une production d’environ 400 000 barils par jour, constitue 68% du total des exportations. Le reste des exportations est constitué par des produits textiles pour 7%, des fruits et des légumes pour 6%, du coton brut.

Le taux de chômage officiel parmi les jeunes de 15 à 24 ans est de 20%, mais il est bien plus élevé en réalité, et tend à augmenter tandis que l’économie n’est pas en mesure de créer de nouveaux postes de travail.

Au cours de 2011, la crise de l’économie syrienne a subi une forte accélération; de nombreux indices des secteurs industriels se sont écroulés, le secteur touristique s’est paralysé, le commerce extérieur a chuté de 40%, et divers capitaux ont fui le pays, tandis que les investissements extérieurs se sont arrêtés. La lire syrienne a perdu environ 10% au change avec le dollar et les exportations du pétrole ont atteint le minimum historique. En outre, le 15 novembre 2011, sont entrées en vigueur les sanctions économiques imposées par l’Union Européenne contre le pétrole syrien.
 

LE PÉTROLE

La Syrie dispose de maigres ressources pétrolières qui, en tant que subsides de l’économie nationale, présente le même cas que l’Égypte que nous avons décrit dans un article précédent: en quelques années, ces pays sont passés d’exportateur à importateur de pétrole. L’écroulement conséquent de la rente pétrolière entaille gravement les ressources destinées aux produits alimentaires taxés. Nous pouvons lire cette aggravation dans les pages de l’Institut National du Commerce Extérieur Syrien, dont la mise à jour s’arrête à 2008, et qui nous laisse mesurer le déficit subi: «La croissance de la demande intérieure des produits dérivés limite les exportations syriennes de pétrole, tandis que la production se contracte par manque de technologie, avec la réduction des réserves. Selon l’Energy Information Administration (EIA), la production de brut syrien qui avait atteint les 582 000 barils par jour en 1996, a rapidement décru ces dernières années. La production se monte en effet à 393 000 barils par jour en 2007 dans les 130 puits d’extraction. On prévoit que la production syrienne continuera à diminuer ces prochaines années de 20 000 barils par jour, tandis que les consommations augmenteront, amenant à une réduction de l’exportation de pétrole».
 

LES CLASSES TRAVAILLEUSES

Les syndicats syriens sont strictement contrôlés par le parti Baath, et les travailleurs n’ont pas réussi à créer une force autonome capable de s’opposer à sa politique. Attiré par le mythe de la démocratie, le prolétariat syrien n’a pas réussi à s’organiser, en sortant et en luttant contre les vieux syndicats, totalement corrompus.

Après six années de tractations, le 12 avril 2010, la Syrie a approuvé sa nouvelle législation en matière de travail: elle permet ainsi des licenciements sans cause justifiée, sanctionnant le patronat en garantissant aux travailleurs une indemnité équivalente à deux mois de salaire par année de travail, somme qui au demeurant ne peut excéder 150 fois le salaire minimum, égal à 6 000 sterlings syriennes (130,5 dollars USA).

La Fédération générale des syndicats (GFTU), unique sigle syndical national, fondée en 1948 et affiliée au parti Baath, a été bien obligée d’accueillir le mécontentement soulevé par la nouvelle loi.

En Syrie aujourd’hui 30% de la population vit au dessous du seuil de pauvreté. Dès la fin 2010, une bonne portion de la classe travailleuse active est dans la difficulté: le salaire, érodé par l’inflation, ne réussit pas à satisfaire les exigences primaires de la famille.

Cette situation dramatique frappe spécialement les zones rurales, suite à la faillite totale du plan de libéralisation économique, comme le montre les émeutes survenues à Deraa, Dariya, al-Moadamiya, Doma, Harasta, al-Tell, Saqba, al-Rastan et Talbisa.

A l’origine des protestations se trouve donc l’aggravation des conditions de vie d’une majorité de la population, en grande partie due à l’envolée des prix des denrées alimentaires de première nécessité, comme cela est survenu dans d’autres pays arabes; le problème empire, d’autant plus que s’y ajoute le spectacle d’un régime de plus en plus avide, corrompu et fermé aux exigence de la population la plus démunie.

Ces dernières années, l’inévitable entrée de l’économie syrienne dans le marché mondial a contribué à faire sauter les «verrous» de sécurité du système social du Baath, les accords de libre échange avec la Chine et la Turquie ont éliminé nombre de petites entreprises, dans le domaine agricole et industriel, faisant augmenter le chômage et les inégalités.
 

LA RÉVOLTE DE 2011

Durant les premiers mois de 2011, les manifestations de protestations dans les diverses villes et gouvernorats sont relativement pacifiques; elles se déroulent principalement dans les périphéries des villes où des milliers de prolétaires parmi les plus pauvres envahissent les rues, profitant des cortèges funéraires des victimes de la répression ou de la prière du vendredi, ce qui permet de se réunir au voisinage des mosquées qui dérogent aux limitations imposées par les lois spéciales. Les cortèges, scandant des slogans antigouvernementaux, réclamant la chute du régime, des réformes sociales et économiques, hypnotisés par le mythe des libertés et de la démocratie, se dirigent vers les sièges et les bureaux du gouvernement se heurtant le plus souvent avec les forces de sécurité qui n’hésitent pas à tirer sur la foule.

La lutte démarre dans la ville de Deraa, située près de la frontière jordanienne, en mars 2011, où sont arrêtés et torturés une quinzaine d’adolescents qui ont couverts les murs de graffitis anti gouvernementaux. La manifestation de protestation provoque d’abord une répression de la police à laquelle fait suite le 9 avril une manifestation plus importante; le régime répond par une répression encore plus dure. Entre temps, le gouvernement, face à la désapprobation internationale, fait mine de désavouer la violence de la police, alors que tout le monde sait parfaitement que le pouvoir et les services de sécurité sont bien contrôlés par le clan lié au président Bachar al Assad. Le mouvement s’étend dans plusieurs autres grandes villes dont Damas et Hama (qui en 1982 avait été victime d’une terrible répression), Lattaquié, Alep, Homs. La ville de Homs, centre industriel important, et ayant de ce fait un prolétariat notable, est la proie de combats acharnés de part et d’autre, et le passage des oléoducs ainsi que la présence de champs de gaz à exploiter à proximité, y sont certainement pour quelque chose.

Le 21 avril, le président, contraint par les circonstances, révoque l’état d’urgence, promet de vagues réformes parmi lesquelles celle de concéder la citoyenneté syrienne à 200 000 kurdes, jusqu’alors classés comme «sans patrie» par la politique du contrôle des minorités mais dont le régime espère ainsi gagner les faveurs de la neutralité dans ce conflit, et il promet aussi un référendum pour une nouvelle constitution.

Le gouvernement syrien n’hésite pas dans les circonstances les plus critiques à utiliser l’armée et les milices spéciales contre la population, à Deraa, Homs, Douma, Hama. Cette dernière depuis la fin juillet et début août est frappée durement par des bombardements des forces gouvernementales, et des nombreux chars armés y pénètrent massacrant beaucoup d’insurgés qui avaient érigés des barricades rudimentaires. L’arrêt systématique de l’approvisionnement en eau et en électricité de quartiers entiers a été une tactique tout de suite utilisée dans les opérations de répression de ces derniers mois. Des évènements similaires se sont succédés à Homs et dans d’autres villes révoltées.

Il est probable que de nombreux prolétaires, en particuliers les paysans salariés, les chômeurs, mais aussi les travailleurs de l’industrie et des services aient participé et continuent de participer aux manifestations, mais des revendications de classe n’apparaissent pas clairement.
 

INTERVENTION DES PETITS ET GRANDS IMPÉRIALISMES

La classe dirigeante syrienne pour survivre ces dernières années aux tensions aigües dans l’aire moyen-orientale, a été contrainte d’élaborer des tactiques variées: la bourgeoisie alaouite a cherché, confrontée à la défaillance des aides russes dans les années 90, de meilleurs rapports avec les États-Unis, lors de la guerre contre l’Irak en 2003; mais très vite, elle a retrouvé l’allié russe et a travaillé à renforcer l’alliance stratégique avec l’Iran, lui-même assailli par l’impérialisme américain au travers d’Israël et des pays du Golfe.

Les liens entre la Syrie et l’Iran ne sont pas récents. L’Iran, par sa position géostratégique et ses richesses gazières et pétrolières joue un rôle important dans la région. D’autre part, il contrôle le détroit d’Ormuz reliant le golfe persique au golfe d’Oman; par ce détroit passe 30% du commerce mondial de pétrole, et l’Iran menace de le fermer en cas de sanctions visant son pétrole ou d’agression militaire contre son territoire. L’Iran pèse aussi désormais sur le gouvernement d’Irak, à la suite du conflit mené par les USA, sur le Liban par le biais du Hezbollah, sur le Hamas palestinien qu’il aide, et sur la Syrie dont il est séparé par les montagnes du Kurdistan. Il est désormais entouré de pays hostiles, liés à l’impérialisme américain, comme l’Arabie Saoudite et ses sbires du Qatar, de Barhein, d’Oman et des Émirats arabes unis, d’un côté, de la Turquie et du Pakistan de l’autre, et n’a pas d’autres issues que de se tourner vers la Russie et la Chine qui cherchent à contrer l’influence des USA au Moyen-Orient et en Asie centrale. La Syrie est le seul État arabe à avoir entretenu des relations très étroites avec l’Iran pour laquelle il a pris fait et causse en 1979 dès l’arrivée de Khomeiny, puis en 1980 dans la guerre contre l’Irak. En raison de la présence de monuments chiites sur son territoire, la Syrie accueille plus de 2,5 millions de pèlerins iraniens par an, et bénéficie d’une aide financière iranienne. En 2006, les deux pays ont signé un accord de «coopération stratégique» renouvelé en 2008, dans lequel chacun est tenu de soutenir l’autre en cas d’agression militaire. De plus, l’Iran a signé en juillet 2011 des accords pour le transport de son gaz à travers l’Irak et la Syrie-Liban, en passant par Homs qui possèdent déjà plusieurs raffineries de pétrole et près de laquelle un champ de gaz mirifique a été découvert. La société russe Gazprom, qui approvisionne entre autre l’Europe et en particulier l’Allemagne, se lèche déjà les babines, tandis que le projet occidental Nabucco d’oléoducs passant par la Turquie traîne en longueur.

Le régime syrien, par faiblesse interne, a été contraint en 2005 à renoncer à l’occupation militaire de son voisin libanais où durant des années il a développé la fonction de chien de garde contre le prolétariat palestinien et libanais.; le Hezbollah, soutenu matériellement et financièrement par l’Iran, l’a amplement remplacé.

La dynamique et la nature des manifestations de protestation semblent connaître un tournant ces derniers mois: en novembre et en décembre 2011, l’isolement de Damas sur le front international s’est intensifié, tandis qu’on assiste à une progressive militarisation de la révolte. Depuis septembre, les épisodes de confrontations entre le gouvernement et les manifestants ont diminué, alors que divers groupes armés, financés par les impérialismes occidentaux et par les monarchies du Golfe, s’affrontent de plus en plus souvent avec l’armée. Périodiquement sont organisées des incursions dans les centres de commandements, des embuscades de convois militaires, des assassinats ciblés, mais aussi de véritables batailles qui semblent avoir amené le contrôle de certaines villes par les insurgés.

Il manque cependant un guide politique influent à cette révolte; l’opposition syrienne extérieure, divisée et peu influente, est formée surtout de factions bourgeoises opposées entre elles et se maintiennent grâce aux aides des puissances occidentales. Le Conseil National Syrien provient de là, et à peine constitué il a réclamé explicitement une intervention armée de l’ONU. Créé en août 2011 à Istambul, il regroupe 190 membres dont les Frères musulmans, des libéraux, des partis kurdes et est présidé par le kurde Abdel Basset Sayda; il se propose aussi de gérer l’avenir d’une Syrie sans Assad, selon des plans prévus ailleurs, puisque actuellement ses relations avec la société syrienne sont très tenus.

En Octobre, en outre, a été constitué une armée, l’Armée Syrienne Libre (ASL), responsable d’attaques de plus en plus fréquentes contre des objectifs militaires et civiles; cette ASL, dirigée par une partie de l’opposition syrienne, principalement financée par des capitaux étrangers dont ceux du Qatar, est formé de déserteurs de l’armée du régime syriens, appuyés par d’autres éléments étrangers. Son commandant, le colonel d’armée de l’air, Riyadh Al-Asaad, lui-même déserteur de l’armée syrienne, a déclaré: «Sur la base de notre réalité nationale et de l’exigence d’arrêter les massacres que nous ne tolérerons plus, nous annonçons la formation de l’armée syrienne libre (...) l’objectif est d’opérer en collaboration avec la population pour la liberté, la dignité, la révolution et pour renverser le régime. [Nous invitons] tous à déserter l’armée et à refuser d’exécuter les ordres et de tirer sur les concitoyens. Tout soldat qui tirera sur des citoyens sera considéré comme une cible légitime de la part de notre armée».

Des forces spéciales britanniques, françaises, jordaniennes et en particulier du Qatar, sont opérantes dans la base navale turque de Iskenderun (ex-Alexandrette) au nord d’Alep, où se côtoient des soldats de l’ASL, des militaires d’Ankara et des avions de l’OTAN.
 

LA LIGUE ARABE

Le 12 novembre 2011, le régime de Damas a été officiellement suspendu de la Ligue Arabe, organisation aujourd’hui menée par l’Arabie Saoudite, par les Émirats et par les monarchies du Golfe, préoccupées non pas par le sort du «peuple frère» syrien mais par la stabilité régionale dans un contexte d’instabilité sociale et sautant sur l’occasion d’affaiblir le camp adverse, notamment le rival iranien.

L’impérialisme américain fait pression sur la Ligue par l’intermédiaire du gouvernement de Ryad de façon à ce que la bourgeoise alaouite au pouvoir en Syrie soit affaiblie, ou encore mieux éliminée, événement qui serait un point en sa faveur contre l’ennemi iranien, et qui réduirait fortement l’influence russe dans cette zone. Les État-Unis non jamais perdu l’espoir de faire rentrer dans leur giron l’Iran où ils n’ont pas que des ennemis.

Le plan de la Ligue arabe prévoit, entre autre, la fin des violences, le retrait des tanks des rues, et la libération immédiate des prisonniers politiques. 18 sur 22 États membres, sauf le Liban et le Yemen, tandis que l’Irak s’est abstenu, ont voté en faveur de l’expulsion de la Syrie. Une telle mesure d’expulsion avait été adoptées peu de temps avant la guerre contre la Lybie du Colonel Kadafi. La Ligue a de plus invité tous les courants de l’opposition à se retrouver au Caire afin de définir une solution commune.

Le représentant de Damas a réagi en accusant la Ligue de se baser sur les intérêts de Washington, et de vouloir provoquer une intervention étrangère, comme en Lybie. Pour répliquer à l’initiative de la Ligue, une manifestation en faveur d’Assad a été organisée, et quelques représentations diplomatiques, parmi lesquelles les ambassades d’Arabie Saoudite, de Turquie, du Qatar et de la France, ont été assaillies. Certains sièges diplomatiques ont été fermés ou leurs ambassadeurs rappelés dans leur patrie pour consultation.
 

VERS UN NOUVEAU REPARTAGE DU MOYEN-ORIENT ENTRE LES IMPÉRIALISTES ANCIENS ET NOUVEAUX

En considérant le cadre économique d’une surproduction mondiale, et la place stratégique que tient la Syrie au Moyen Orient, la solution de la crise pourrait dériver d’accords externes au pays, passant au dessus des intérêts immédiats locaux. La Syrie ne se maintient désormais que grâce au soutien matériel et financier des États russes et chinois. Les intérêts de ces deux grandes puissances impérialistes ne se rejoignent que pour mieux répliquer à l’assaut de celui américain en méditerranée et contre le bouclier Iran-Syrie-Liban. Pour les USA, l’Iran, contrefort de la Russie, reste un obstacle agaçant en raison de sa menace sur détroit d’Ormuz, et la «chute» de Bachar, mettrait en péril le Hezbollah libanais pro-iranien.

Les éléments qui composent l’échiquier sont multiples et ressemblent à un château de cartes où il suffit d’en toucher une pour que l’ensemble risque de s’écrouler, avec la menace tout à fait réelle d’un troisième conflit mondial pour un repartage du monde «plus équitable» dans le cadre du nouveau rapport de forces. Les grands impérialistes sont aux aguets et parmi les trois premiers, demeurent en tête les USA qui désormais peine à tenir son rang de premier mais dont la force économique est la plus considérable; la Chine prend la deuxième place et se bat comme un lion pour conquérir la première place, et la Russie malgré son économie en grande difficulté, est un bon troisième. Les discussions se font autour de la table de négociations, tandis que sur le terrain les petits États-pions se font la guerre entre eux, ou sont la proie de guerres civiles.

Les ports syriens ont été depuis toujours très importants pour les trafics entre l’Europe et l’Asie; aujourd’hui encore plus, parce qu’ils sont aussi les terminaux des oléoducs qui véhiculent le pétrole et le gaz provenant des gisements considérables de l’extrême nord-est du pays, aux confins avec la Turquie, et de ce qui provient de l’Irak et qui passe la frontière orientale près de la ville turque d’Abu Kemal. Les deux oléoducs se rejoignent dans la cité d’Homs et repartent vers les ports de Baniyas et de Tartous, Tartous où par ailleurs se trouve une basse militaire de la marine russe. Toutes ces villes sont impliquées dans les combats actuels; et il devient de plus en plus nécessaire au pouvoir syrien de reprendre le contrôle de Homs, fondamentale pour étouffer la révolte et point vitale du passage des oléoducs.

Comme nous l’avons déjà écrit pour les coulisses de la guerre en Lybie, la puissante machine belliqueuse de la marine US pourrait facilement se transporter face aux côtes syriennes, ou attendre dans un des ports de Chypre qui fait face à la Syrie, ou ceux de la côte méridionale turque, protégée par la base aérienne américaine d’Incirlirk, près d’Adana en Turquie, proche de la frontière syrienne.

Mais au milieu se trouve la base militaire russe de Tartous. L’amiral russe Kravchenko, tirant les leçons des évènements en Lybie, a clairement menacé: «La présence d’une force militaire différente de l’ONU est très utile dans cette région, parce qu’elle prévient l’éclatement d’un conflit armé». Si, une action unilatérale était entreprise, ceci provoquerait une réaction de Moscou pour défendre un allié qui lui offre son hospitalité avec une base en Méditerranée et avec lequel dans la seule année 2010 elle a réalisé des affaires, pour les armes et les investissements, d’un montant de 20 milliards de dollars. La Russie dernièrement a accusé le coup par un silence obligé, face aux événements de Lybie où l’impérialisme anglo-américain avec l’aide de la France s’est imposé, et elle cherche à inverser la tendance à l’extension de l’influence américaine en Méditerranée.

La Chine aussi a opposé son veto à une résolution onusienne qui condamne le régime syrien. Alors que l’État impérialiste russe défend la Syrie pour se défendre lui-même de la voracité des autres puissances, l’impérialisme chinois veut au contraire affirmer désormais son rôle de nouvelle puissance mondiale, à l’égale des plus anciennes, pour pouvoir ensuite les devancer. La Russie et la Chine se rejoignent pour un partenariat stratégique dont le moteur est la recherche d’énergie. Leur coopération porte sur la prospection et la distribution du gaz dont le bassin méditerranéen est très riche. La Chine a déjà acheté le tiers des actions de Shell en Syrie et elle veut elle-aussi briser l’hégémonie américaine et européenne au Moyen-orient.

Les équilibres de pouvoir établies par les vainqueurs de la seconde guerre mondiale, et ratifiés à Yalta par les États-Unis, l’URSS, la Grande Bretagne, ne sont désormais plus valides depuis des décennies, parce que Londres de fait n’a plus la voie au chapitre, et que celle de Moscou a été fortement réduite depuis 1990. Pékin revendique désormais la place au soleil que mérite son économie vigoureuse. Et un futur repartage de la région entre les puissances impérialistes est inéluctable. Quant aux pays d’Europe continentale, qui s’agitent tant qu’ils peuvent comme le fait la France en Lybie et en Syrie, ils demeurent de «petits» impérialistes qui doivent souvent frayer dans la cour des grands.

Dans ces nouveaux rapports de force, un des pions délicats à manipuler pour les maîtres de l’échiquier impérialiste, est certainement représenté par l’Iran, qui se comporte comme une puissance régionale et se heurte par conséquent à la puissance israélienne et à l’Arabie saoudite et ses sbires, soutenus par les USA. Téhéran attend l’occasion propice pour confirmer son rôle dans le but également de contrôler les poussées de son opposition et de ses contradictions internes. Parler de guerre froide entre l’Iran et les États-Unis n’est pas un non sens. La guerre froide entre les USA et l’URSS était le résultat d’un plan bien concerté de partage du monde. Penser au contraire à un grand Iran qui contrôle toute la région est un pur fantasme politique. On pourrait tout au plus imaginer une sorte de couloir montagneux qui le relie par terre à la Syrie et au Liban, à travers le Kurdistan au nord de l’Irak, pour lui donner un débouché sur la Méditerranée et au port de Tartous, où l’allié syrien garantirait un appui à la marine iranienne.

Du reste, depuis des années, celles qui ont suivi la chute du shah leur allié, les USA manœuvrent pour déstabiliser les deux régimes alliés iranien et syrien en faisant levier sur les pays voisins. En Syrie opèrent des hommes de main responsables du sabotage, un parmi tant d’autres, du principal oléoduc syrien près de la raffinerie d’Homs, dans le quartier Bab Amro, une place forte sunnite. Cependant une intervention directe de pays étrangers en Syrie dans la crise actuelle, surtout si elle est réalisée avec la participation de Washington, pourrait provoquer la réaction iranienne, sans parler de celle russe. L’Iran, encerclée de toutes parts par des pays hostiles et manipulés par l’impérialisme US, comme la Turquie, le Pakistan, l’Arabie Saoudite, a par conséquent besoin des protecteurs russe et chinois.

La route américaine pour Téhéran passe par Beyrouth, Damas et Bagdad. Mais sa destination finale est encore plus à l’Est: stopper l’expansion russe vers le sud et celle chinoise vers les sources d’énergie arabes à travers la construction d’une ceinture d’États, sous le contrôle américain jusqu’aux frontières chinoises, y compris les fragiles et corrompues républiques transcaucasiennes, en partie déjà sous leur influence. Il apparaît désormais bien clair que les USA essayent de contenir l’expansion chinoise de cette façon par terre, et sur mer dans le pacifique grâce à leur marine militaire. Rappelons au passage le pacte de Bagdad de 1955 dans lequel les américains avaient rallié l’Iran, l’Irak, la Turquie, le Pakistan et la Grande Bretagne, de façon à former en pleine guerre froide un bouclier anti-soviétique et anti-chinois. Aujourd’hui, le «gentil» président Obama rêverait bien que son pays possédât le même mur !

Au conseil de sécurité de l’ONU, le répresentant du géant chinois, répondant aux demandes des autres pays membres sur l’éventualité d’une intervention en Syrie, répond imperturbable que la «communauté internationale devrait fournir une assistance constructive pour faciliter les objectifs du processus politique syrien tout en respectant pleinement la souveraineté, l’indépendance, et l’intégrité territoriale de la Syrie». Les adversaires se sourient aimablement tout en aiguisant chacun leurs couteaux !

Au Liban voisin, le parti de Dieu, le Hezbollah chiite soutenu par l’État chiite iranien au travers de la Syrie, de même que le gouvernement libanais, ont réitéré leur alignement au gouvernement syrien, et par conséquent à l’Iran, contre tout «complot international». L’Irak aussi ne voit pas d’un bon œil les sanctions prescrites à l’encontre de son voisin syrien, car, d’antagoniste historique, il est devenu un partenaire commercial important, et il s’oppose à toute possibilité d’intervention étrangère en Syrie.

D’ex-alliée, en particulier quand il s’agissait de lutter contre les Kurdes à cheval sur les deux pays, la Turquie est devenue un des ennemis les plus virulents d’Assad. Erdogan dans ses déclarations promeut l’intervention en Syrie, soutenant la nécessité «humanitaire» d’aider la population civile. Durant une des nombreuses réunions de l’ONU, le premier ministre turc a ainsi commenté: «Étant donné qu’Al Assad a affirmer vouloir combattre jusqu’à la mort, je voudrais rappeler ceux qui ont fait de même: Hitler, Mussolini, Ceaucescu. Si Al Assad n’est pas en mesure de tirer la leçon de leur mort, qu’il regarde ce qui est arrivé à Kadafi, tué en Lybie; lui aussi a tiré sur son peuple, en répétant les mêmes phrases».

De plus Ankara abrite le leader en exil des Frères Musulmans syriens, Mohfammed Riad Shakfa, qui a déclaré qu’une intervention turque en Syrie serait souhaitable. Turquie et Jordanie, en attendant un accord entre les puissances occidentales, préparent deux «zones tampons» à l’intérieur de la Syrie, créées sous la tutelle des civils, mais qui en réalité aurait la précieuse fonction d’éviter que l’instabilité et les tensions sociales qui en dérivent ne s’étendent de la Syrie à leurs territoires.

Quant à Israël, avec laquelle la Syrie partage le plateau du Golan sur lequel vivent les Druzes favorables à Bachar, il reste aux aguets, prêt à intervenir. Ce conflit, comme tous ceux qui l’ont opposé aux pays arabes ou iranien environnant, en lui permettant une nouvelle fois de détourner son prolétariat de la crise économique féroce qu’il subit, lui sert de ce fait de valve de sécurité et d’appels à de nouveaux capitaux extérieurs pour une aide au cas où...

S’il est en vrai en effet que Tel Aviv est en mesure de faire face aux armées régionales, il est tout aussi vrai que, spécialement dans cette situation, l’on sait comment commencent les guerres, mais on ne sait pas comment elles finissent; et pour le moment toute tentative contre la Syrie serait une erreur. La famille Assad, par ailleurs, a conclu plusieurs fois des pactes avec Tel Aviv, et la répression réalisée par la bourgeoisie syrienne a souvent été la clé de la «pacification» de la région aux dépens du prolétariat moyen-oriental, en particulier celui palestinien.

Mais la crise générale capitaliste, qui s’exprime à travers ces conflits régionaux, ne permet pas de longues pauses; il s’agit de voir qui fera le premier faux pas. Pour l’instant, tout se passe sur la table des négociations où chaque impérialiste soupèse selon les évènements le pion à déplacer, à soutenir ou à abandonner. La Russie et la Chine négocient en utilisant leurs pions syriens et iraniens qu’elles peuvent «négocier», si elles obtiennent des avantages ailleurs, ou si l’adversaire possède des pions plus menaçants. Les clés du jeu se trouvent dans les rapports des forces de production de chaque empire, de son économie et de ses capitaux. Depuis le début de l’année 2012, les affrontements se multiplient et le nombre de civils tués ne cessent d’augmenter. En juillet 2012 on parle de 15 à 20 000 morts depuis le début des affrontements et de plus de 150 000 réfugiés en Jordanie, Liban et Turquie. A l’ONU, Russes et Chinois s’obstinent à s’opposer à toute intervention militaire. Les négociations vont certainement bon train entre les grands sur le dos des petits. Et l’attentat à la bombe du 18 juillet 2012 au siège de la sécurité nationale à Damas montre que la statue de Bachar va bientôt tomber. Moscou a déjà admis qu’elle verrait d’un bon œil Al Assad quitter le pouvoir «si les syriens eux-mêmes tombent d’accord sur ce point», c’est-à-dire si les puissances impérialistes se partagent le pays, ses richesses et que les créanciers recouvrent leurs dettes, tandis que les masses seront une nouvelle fois trahies, et verront de nouveau passer sous leur nez, les illusoires visions de liberté, égalité, fraternité. Un ou plusieurs maîtres succéderont au dernier... Voici à l’heure d’aujourd’hui une des leçons sur les mouvements des masses arabes qui a débuté en 2010 !

En cette fin de juillet 2012, les négociations se font de plus en plus serrées. La bataille d’Alep, un des poumons économiques de la Syrie, situé au nord du pays, proche de la base militaire turque d’Iskenderum, fait rage, opposant les forces fidèles au régime à celles de l’ASL. Le PKK a repris le contrôle du nord de la Syrie aidé en cela par le régime d’Assad, bien content de lancer les militants kurdes contre les soldats turcs. D’autre part, la fuite du général syrien Manal Tlass est un signe que l’armée syrienne est prête à négocier. Manal est le fils du sunnite Mustafa Tlass, ministre de la défense de Hafez et de Bachar de 1972 à 2000, bras de la répression qui a frappé Hama en 1982 et le Liban durant des décennies, et très lié aux milieux politiques français de tout bord. Manal a cherché à traiter avec les rebelles il y a un an, et aurait été mis en résidence surveillée à Damas pour cette raison. Comment a-t-il pu s’échapper de la surveillance des services syriens sans complicité intérieure ? De Damas, il aurait gagné le Liban où il aurait pris des contacts avec les chefs sunnites libanais qui agitent leurs fidèles à Tripoli et à Saïda, tandis que le Hezbollah se fait discret; puis il se serait rendu à Paris rejoindre sa famille et sa célèbre et richissime sœur, connue du tout Paris politique de droite et de gauche. Ce général, play boy de la riche bourgeoisie syrienne, se présente désormais en vêtements civils, les cheveux longs en broussailles, et fait des déclarations en Arabie Saoudite, hostiles au régime de Bachar, mais jamais à l’armée syrienne.

 

LA POSITION DE CLASSE DU PCI: GUERRE OU RÉVOLUTION

Durant les longs mois de cette révolte, qui a revêtu les caractéristiques d’une insurrection armée, il ne semble pas que le prolétariat syrien ait réussi à se donner des organisations autonomes, que ce soit tant sur le plan politique que sur celui des revendications immédiates. Le mouvement de résistance contre le régime, dont font certainement partie de larges couches prolétariennes, est dans les mains de factions bourgeoises, manœuvrées par l’impérialisme occidental.

La première tâche du prolétariat syrien qui fournit la chair à canon au mouvement anti-gouvernemental, est celle de se doter d’organisations autonomes de classe, en brisant l’influence néfaste du syndicalisme étatique, et en cherchant à se relier avec ses avant-gardes à la tradition du communisme révolutionnaire, en se détachant de l’influence délétère des organisations bourgeoises et petite bourgeoises qui veulent le mener dans le cul de sac de la lutte pour la liberté et la démocratie. Si le prolétariat continue à suivre les partis bourgeois, ses souffrances et son sang lui serviront uniquement à changer de maître, à conduire le pays de la soumission à Moscou à celle de l’impérialisme occidental. L’exemple de la Lybie est en ce sens une leçon évidente et encore brûlante.

Dans Il Programma Comunista n°12 de 1967, dans un article intitulé: «Dietro la crisi parziale del Medio-oriente, la crisi mondiale generale del imperialismo», tandis que la région était encore en proie à des conflits, nous terminions ainsi: «Si aujourd’hui les convulsions du Tiers monde ont seulement des effets limités sur les citadelles impérialistes, ces effets vont aller en s’amplifiant. Déjà aujourd’hui, ils ont brisé les illusions de paix et de stabilité, de bien-être et d’existence pacifique. Déjà aujourd’hui ils ont réduit à néant la prétention bourgeoise d’avoir écrasé la crise. Déjà aujourd’hui ils montrent la vanité des efforts de l’impérialisme, des réformistes et des révolutionnaires nationalistes bourgeois. Déjà aujourd’hui ils rappellent aux prolétaires, dans les fracas des armes, la phrase de Lénine: l’ère de l’impérialisme est l’ère des guerres et des révolutions ! Déjà aujourd’hui ils contribuent à arracher les prolétaires à l’opium de l’idéologie bourgeoise et concourent à la reconstitution du parti révolutionnaire international».

Le prolétariat arabe, dont celui syrien fait aussi partie, a des traditions de classe significatives. Les révoltes en Tunisie et en Égypte ont vu les travailleurs salariés en première ligne; en Égypte surtout ces dernières années sont nés des syndicats nombreux et combatifs, indépendants de l’influence étatique dont les dirigeants ont déjà compris à leurs dépens que le nouveau régime, né après la chute de Moubarak, n’est pas meilleur que le précédent. Pareillement en Tunisie.

Ceci arrivera aussi en Syrie si cette révolte ne réussit pas à amorcer une reprise de la lutte de classes, contre le régime d’Assad, mais aussi contre les «adversaires bourgeois» de ce dernier, parce que ces factions sont avec le régime qu’elles combattent tous des ennemis du prolétariat.

«Notre» soulèvement en effet devra fatalement démasquer les innombrables mensonges de la propagande bourgeoise qui vise à dissoudre les classes dans le magmas indistinct du «peuple» arabe, qui cherche à enchaîner les prolétaires au fétiche religieux pour éloigner le moment dans lequel le prolétariat arabe devra s’unir à celui occidental dans la lutte commune contre le régime du Capital, écrivant sur ses bannières: Mort au régime bourgeois, démocratique ou dictatorial ! Que renaîssent les syndicats de classe derrière le Parti Communiste International ! Pour l’abolition du salariat et du capital, pour le communisme !
 



1- En référence aux articles parus dans «Il Partito Comunista» n° 351 janvier-février 2012, n° 352 mars-avril 2012, et l’article sur le Moyen Orient de 1967-68: «Il Programma comunista» n°12 1967: «Dietro la crisi parziale del Medio-oriente, la crisi mondiale generale del imperialismo».

2- Unité administrative de l’empire ottoman. Elle apparue au XIV° comme circonscription militaire.

3- Unité administrative à partir de 1864 de l’empire turc. Le mot Vilayet provient du mot arabe wilayah.

4- Dès 1840, le consul anglais à Beyrouth avait écrit au ministère des Affaires étrangères à Londres pour suggérer cette idée, afin que l’Empire britannique disposât dans la région, face aux maronites soutenus par la France, d’une communauté dévouée à la Couronne britannique.

5- A ce moment la Chine ne faisait pas partie du podium des grands impérialistes. La grande marche date de 1949, si dans les années soixante ils essayeront de créer un mouvement tiers-mondiste neutre, ils n’avaient pas encore les moyens d’une politique impérialiste.