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"La Gauche Communiste" N° 14 - Janvier-Fevrier 1988
– Présentation: Le mouvement palestinien en Cisjordanie et à Gaza et la grève des mineurs noirs en Afrique du Sud.
Que vienne la crise! La crise boursière prodrome d’une grande crise historique qui frappera en même temps toutes les monstrueuses machines productives du monde.
  I. La fin des illusions.
  II. Exaltation de la production et montée des taux d’intérêt: 1. Les trois phase de cycle productif - 2. Crédit et spéculation.
  III. De la reprise économique à la crise boursière: 1. La montée des taux en 1974 et 1980-1981 - 2. 1983:84: reprise économique, mais au prix d’un énorme endettement - 3. Les importations américaines tirent l’industrie mondiale - 4. 1986: contraction du marché mondial - 5. Endettement galopant des états et montée des taux - 6. Quand les bourgeois se lancent corps et âme dans la spéculation - 7. En route pour un nouveau 1929, bien plus formidable encore! - 8. La montée des taux et le krach boursier.
  IV. Bien creusé vieille taupe!: 1. La crise de 1975 - 2. Quand l’incendie est éteint avec du pétrole - 3. La crise de 1847, prototype de toutes les crises de surproduction.
  V. Les forces productives se rebellent contre les rapports de production.
  VI. Crises et guerres sont inévitables si le prolétariat ne prend pas le chemin de la révolution.
– Lettre d’Engels à Bebel, Londres 24 Janvier 1893.
–Guerre impérialiste ou révolution:
  A - La guerre, phénomène inéluctable des sociétés des classes: 1. Ou pacifisme ou marxisme - 2. Le militarisme capitaliste - 3. Les caractères des guerres - 4. Notre anti-militarisme.
  B - L’antimilitarisme dans la Seconde Internationale: 1. Prémisse - 2. Les Congrés: les résolutions sur antimilitarisme et guerre - 3. La question coloniale ou le chemin de l’opportunisme au sein de l’Internationale - 4. Les fractions de Gauche contre la vague opportuniste - 5. La trahison du 4 août 1914 - 6. Vers l’avenir.
– L’Octobre prolétarien russe a balayé a la fois l’état bourgeois et la guerre.
– Pourquoi la Russie n’est pas socialiste?:
 1. Le capitalisme russe - 2. Économie russe et révolution d’Octobre - 3. Isolement et défaite du prolétariat russe - 4. La contre-révolution stalinienne - 5. Socialisme et capitalisme d’État - 6. Socialisme et petite production - 7. Le faux "Communisme" kolkhozien - 8. Toutes les tares d’une agriculture capitaliste sans les avantages - 9. La réalité du capitalisme russe.
– Vie du Parti: Réunion de Parti, Florence 23-24 Mai 1987 - Réunion de travail, Bolzano 26-27 Septembre 1987.

 
 
 


QUE VIENNE LA CRISE !

La crise boursière, prodrome d’une grande crise historique qui frappera en même temps toutes les monstrueuses machines productives du monde.
 
 

I. LA FIN DES ILLUSIONS

Après cinq ans et deux mois de hausse quasi continue (du 13 août 1982, où il était à son point le plus bas: 776,82, au mois d’octobre 1987, l’indice Dow Jones culmina à 2670, soit 243% de hausse!), le cours des actions de Wall Street, déclenchant la panique générale sur toutes les places boursières du monde, connaît un effondrement retentissant dépassant et de loin le krach du fameux Vendredi noir de 1929! La similitude des événements est frappante. A cette époque aussi, le cours des actions avait grimpé de façon presque continue durant cinq ans et trois mois; de 1924 à 1929 l’indice du New York Times passant de 106 à 469, soit 342% d’ augmentation! Alors, comme maintenant, la cause immédiate du krach était la montée des taux d’intérêt et notamment la décision de la Banque d’Angleterre de relever son taux d’escompte de 4,5% à 6,5%. Tout récemment la Bundesbank releva le sien, poussant à la hausse, comme alors, celui de la FED (la Banque centrale des États-Unis).

L’histoire ne se répète pas disent les bourgeois pour se rassurer; elle bégaye. Nous autres marxistes endurcis en tirons la conclusion, une fois encore, que rien n’a changé sous le capitalisme, depuis que Marx entreprit d’analyser ses lois économiques à partir de l’exemple anglais de l’époque victorienne. La répétition de ces deux événements, à 58 ans de distance, tout en marquant "La fin des illusions", comme le titrait un article du journal Le Monde, pour la bourgeoisie, confirme donc la pleine validité de ces lois. Aussi est-ce à l’aide de Marx, notamment du tome 7 des éditions sociales du Capital, que nous allons analyser la signification du krach boursier actuel.
 
 
 

II. EXALTATION DE LA PRODUCTION ET MONTÉE DES TAUX D’INTÉRÊT
 

1. LES TROIS PHASES DU CYCLE PRODUCTIF

La frénésie spéculative, qui partie de Wall Street, s’empara de toutes les places financières en un maelström général, contrastait étrangement avec le languissamment de la production. Cependant la contradiction n’est qu’apparente. Pour permettre à la production industrielle, arrivée à un maximum en ’79-’80, de sortir de la récession des années ’80-’82 et d’aller au-delà des limites imposées par les rapports de propriété, le procès de reproduction fut tendu à son extrême limite en développant le système du crédit à une échelle encore jamais vue jusqu’ici. Si bien que la spéculation boursière n’est que le "château de cartes" bâti sur les sables mouvants d’une spéculation bien plus générale poussée à son extrême par les besoins de la production.

Marx distingue trois étapes dans le cycle productif qui précède la crise générale de surproduction.

1° «Une fois que le procès de reproduction a retrouvé l’état de prospérité qui précède celui de l’extrême tension, le crédit commercial connaît une très grande extension qui repose alors de nouveau réellement sur la base "saine" de rentrées faciles et d’une production élargie. à ce stade de la conjoncture le taux d’intérêt reste encore peu élevé, même s’il s’élève au-dessus de son niveau le plus bas».
Il s’agit ici du moment du cycle qui suit une grave crise économique, où non seulement l’on a eu une importante chute de la production industrielle, mais par le biais de la déflation une importante dévalorisation du capital marchandise; comme par exemple durant la crise de 1847-1848, ou plus près de nous 1930-1932. Ce moment correspond donc aux années de reprise économique, ce qui dans notre après guerre coïncide avec la période de reconstruction et précède le second moment où la production industrielle a déjà dépassé largement le maximum atteint antérieurement à la crise.
2° «Par ailleurs, entrent maintenant en scène, en nombre considérable, les chevaliers d’industries, qui travaillent sans capital de réserve, ou même sans capital du tout, et, par suite, n’ont absolument aucune autre ressource que d’opérer avec du crédit financier. Il vient s’y ajouter maintenant aussi l’extension considérable du capital fixe sous toutes ses formes et la création en masse de nouvelles et importantes entreprises. L’intérêt monte, atteignant alors son niveau moyen».
3° Le moment qui précède immédiatement la crise et la crise elle-même. «Son maximum, il l’atteint de nouveau dès qu’éclate la nouvelle crise: le crédit cesse brusquement, les paiements sont suspendus, le procès de production paralysé et, aux exceptions près que nous avons déjà notées, on constate, parallèlement à une pénurie presque totale de capital de prêt, une surabondance de capital industriel sans emploi» (p.150).

 

2. CRÉDIT ET SPÉCULATION

Le crédit nous explique Marx est la base de tout "l’édifice complexe du procès de reproduction". Sans celui-ci la production non seulement serait étriquée, mais paralysée Le commerçant qui achète les marchandises à l’industriel ne peut pas les lui payer avant de les avoir vendues. En effet celui-ci ne possède pas les fonds suffisants. Autant parce qu’il n’a pas vendu tout son stock antérieur, que parce que le volume de la production s’accroît constamment et partant la valeur du capital marchandise à réaliser. Mais le capitaliste industriel, ou mieux l’entreprise ne peut pas arrêter la production et attendre la réalisation de la valeur de son capital marchandise pour recommencer un nouveaux cycle productif. Aussi avance t-il au capitaliste commercial son capital en échange d’une reconnaissance de dette, c’est à dire d’une traite (lettre de change ou billet à ordre) payable à échéance. Ce même gros commerçant avancera ces mêmes marchandises contre des traites à d’autres commerçants. Pendant ce temps notre industriel pour acheter les matières premières nécessaires au procès de production offrira la traite qu’il a reçu en échange de ses marchandises, ou alors il se tournera vers la banque qui lui rachètera sa traite à un certain taux d’escompte; le taux d’escompte étant le pourcentage que la banque prend sur la traite. Avec cette argent versé sur son compte il pourra payer les salaires et acheter les matières premières dont il a besoin. Ce sera alors à la banque, que, l’échéance venue, le négociant payera la traite. Mais si entre temps celle-ci a besoin d’argent frais, elle pourra toujours la revendre à un certain taux d’escompte sur le marché monétaire. C’est ainsi que se met à circuler sur le marché, en lieu et place de l’argent, comme moyen de payement, toute une masse de traites, dont le volume augmente au fur et à mesure que s’accroît la production. .

A côté de ce crédit commercial, qui constitue la base de tout le système de crédit, vient s’ajouter d’autres formes, dont nous ne citerons que les trois principales: les obligations qui sont des emprunts à long et moyen termes à taux d’intérêt fixe émis sous forme de titre de créance par de grandes entreprises, ou par les États (dans ce dernier cas il s’agit de bons du Trésor); les actions qui sont des titres de propriété donnant droit à empocher une partie du profit au prorata de sa valeur; et enfin le crédit direct auprès d’une banque ou d’un institut financier. Le crédit, notamment le crédit commercial, offre la possibilité d’accélérer le procès de reproduction du capital et d’autre part, par l’intermédiaire des banques, de mettre à la disposition de l’industrie et du commerce l’ensemble du capital social; c’est-à-dire du capital qui appartient à autrui, mais que les banques et les industriels utilisent comme étant leur propriété. Par là, il permet, sur la base de la société bourgeoise, d’outrepasser les limites offertes par les rapports de propriété bourgeois, jusqu’à ce que la production exaltée au maximum, sous sa poussée romanesque, fasse sauter tous ces rapports et provoque une rupture générale, la crise.

Parallèlement à l’accroissement de la production, grâce au gonflement du crédit qui en résulte, se développe la spéculation. Notamment à l’occasion de la création d’une nouvelle branche industrielle, qui connaissant un taux de croissance élevé permet des profits juteux et attire de ce fait le capital monétaire de tout le pays. Marx donne à ce propos l’exemple des chemins de fer. Ou encore lors de grands travaux publics, comme la construction du canal de Panama à la fin du siècle dernier, où toute une partie de la petite bourgeoisie française vit ses économies englouties dans la faillite financière qui en résulta (ce qui est normal, les couillons sont toujours couillonnés).

Mais la spéculation ne se limite pas à la production, elle se développe dans des proportions encore plus gigantesques dans le commerce.

«Ceci est particulièrement valable dans le commerce de gros, la plus grande partie des produits sociaux devant passer par ses mains. Toutes les normes, tous les prétextes encore plus ou moins justifiés dans le système de production capitaliste disparaissent ici. Ce que risque le commerçant en gros qui spécule n’est pas sa propriété privée, mais de la propriété sociale» (p.104-105).
Et Marx de citer, entre autres, le cas de ces commerçants, qui exportant dans les lointaines contrées, mettaient à profit le temps requis par les longs trajets, pour escompter auprès des banques des marchandises dont il restait à réaliser la valeur, marchandises qui en outre ne leur appartenaient pas, puisqu’ils les avaient reçues des fabricants en échange de traites. L’argent ainsi obtenu était réinvesti dans l’achat d’autres marchandises, dont on espérait obtenir un substantiel profit de la vente, ou encore pouvait être utilisé à d’autres buts spéculatifs; par exemple à la Bourse. Que les marchandises viennent à ne pas être vendues par suite d’un encombrement du marché, ou que survienne un retard important, et c’est la faillite!

L’affaire Chaumet, dans laquelle un ministre se trouva impliqué, en est une bonne illustration. Leur faillite laissa un passif de 2 milliards de francs, soit huit fois le chiffre d’affaire de la maison mère! La bijouterie Chaumet était spécialisée dans l’achat et la vente des diamants. A la suite de l’effondrement des cours du diamant, ses propriétaires se lancèrent dans toute une série d’affaires, en bonne partie spéculatives. Ils se mirent en outre à ouvrir des comptes rémunérés tout comme le ferait une banque. Le fameux ministre est l’un de ceux qui possédaient un compte chez les Chaumet. En touchant un intérêt sur l’argent déposé sur ce compte, il participait indirectement aux affaires spéculatives de la dite société.

L’autre grande voie de la spéculation est celle qui se porte sur les traites, les obligations, les actions, etc. Le gonflement démesuré du crédit, par suite des besoins de la production, conduit à l’accumulation d’une masse gigantesque de titres en tout genre (traites, obligations, actions, etc.) qui n’est rien d’autre qu’une montagne de papier dont la valeur est purement fictive. Que survienne la crise et leur valeur nominale se dégonfle comme un ballon de baudruche, chacun cherchant à s’en débarrasser contre de l’argent comptant. Mais à ce moment l’argent est rare et donc cher.

Comment en arrive-t-on à cet état de chose? D’un côté l’augmentation de la production crée un afflux constant de capital argent, de l’autre, le besoin en capital argent, surtout par suite de la baisse tendancielle du taux de profit, qui fait que cet afflux s’accroît de moins en moins vite, dépasse les possibilités du marché faisant ainsi monter les taux d’intérêt en rendant de plus en plus difficile la valorisation de l’immense masse de capital jetée constamment sur le marché, provoquant à la fin la paralysie du commerce et de l’industrie. La spéculation elle même, en se surajoutant, contribue puissamment à la montée des taux d’intérêt. En effet les chevaliers du crédit, qui se lancent à corps perdu dans la spéculation, peuvent payer des intérêts élevés puisqu’ils le font en puisant dans la poche des autres, comme le fait remarquer Marx.

Tout ce processus qui aboutit à une accumulation gigantesque de titres, en partie spéculative, et dont la masse dépasse de loin le volume de l’argent en circulation ou tenu en réserve dans les coffres des banques centrales (celles qui sont autorisées à battre monnaie.), n’est que l’expression d’une croissance industrielle conduite de plus en plus sur la base du système de crédit. Si le crédit permet de repousser plus loin les limites offertes par la société bourgeoise à la production, elle n’a pas pu les supprimer et il arrive un moment où il faut passer à la caisse. Les taux d’intérêt montent alors et la surproduction générale apparaît en plein jour.

«Dans un système de production où tout l’édifice complexe du procès de reproduction repose sur le crédit, si le crédit cesse brusquement et que seuls aient cours les paiements en espèces, on voit bien qu’une crise doit alors se produire, une ruée sur les moyens de paiements. A première vue donc, toute la crise se présente comme une simple crise de crédit et d’argent. Et, en fait, il ne s’agit que de la convertibilité des effets de commerce en argent. Mais dans leur majorité, ces traites représentent des achats et des ventes réels, dont le volume dépasse de loin les besoins de la société, ce qui est en définitive à la base de toute la crise. Mais, parallèlement, une quantité énorme de ces effets ne représente que des affaires spéculatives qui, venant à la lumière du jour, y crèvent comme des bulles; ou encore ce sont des spéculations menées avec le capital d’autrui, mais qui ont mal tourné; enfin des capitaux marchandises qui sont dépréciés ou même totalement invendables, ou des rentrées d’argent qui ne peuvent plus avoir lieu. Tout ce système artificiel d’extension forcée du procès de reproduction ne saurait naturellement être remis sur pied parce qu’une banque, par exemple la Banque d’Angleterre, s’avise alors de donner à tous les spéculateurs, en papier-monnaie émis par elle, le capital qui leur manque, d’acheter à leur ancienne valeur nominale la totalité des marchandises dépréciées» (p.151-152).

 
 

III. DE LA REPRISE ÉCONOMIQUE A LA CRISE BOURSIÈRE
 

1. LA MONTÉE DES TAUX EN 1974 ET 1980-1981

Donc, durant les quelques mois qui précèdent la crise, les taux d’intérêt montent pour atteindre leur maximum durant la crise: l’argent se fait rare et coûte cher, et le capital marchandise qui encombre les marchés se dévalorise massivement, ainsi que les traites qui le représentent, les actions, etc. . .

Si l’on se reporte aux statistiques fournies par International Financial Statistics de l’ONU, l’on constate effectivement cette montée des taux d’intérêt pour chaque crise.

Trois taux d’intérêt sont intéressants à suivre. Le taux d’escompte des banques centrales, qui correspond au prix qu’elles font payer pour prêter de l’argent aux autres banques. Le taux du marché des obligations, qui correspond aux emprunts à long terme et qui aux États Unis est désormais entièrement accaparé par le trésor public. Et le taux des prêts, à court et moyen terme, que les banques font aux entreprises. Pour des raisons de place nous ne rapporterons que le premier tableau.

Dans nos statistiques aux six pays occidentaux que nous suivons habituellement nous avons ajouté la Belgique, qui est un vieux pays industrialisé et qui a une position charnière en Europe du Nord, entre la France, l’Allemagne et l’Angleterre. La Belgique fut détachée de la France par la Sainte alliance au début du siècle dernier, justement à cause de sa situation géographique, pour jouer un rôle de tampon contre-révolutionnaire.
 

ONU TAUX D’ESCOMPTE OFFICIEL
  1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986
BELGIQUE 6,50 5,50 5,00 7,75 8,75 6,00 9,00 6,00 10,5 12,0 15,0 11,5 10,0 11,0 9,75 8,00 8,00
ALLEMAGNE 6,00 4,00 4,50 7,00 6,00 3,50 3,50 3,00 3,00 6,00 7,50 7,50 5,00 4,00 4,50 4,00 3,50
FRANCE 7,00 6,50 7,50 11,0 13,0 8,0 10,5 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50 9,50
ITALIE 5,50 4,50 4,00 6,50 8,00 6,00 15,0 11,5 10,5 15,0 16,5 19,0 18,0 17,0 16,5 15,0 12,0
ANGLETERRE 7,00 5,00 9,00 13,0 11,5 11,2 14,2 7,0 12,5 17,0 14,0            
ÉTATS-UNIS 5,50 4,50 4,50 7,50 7,75 6,00 5,25 6,00 9,50 12,0 13,0 12,0 8,50 8,50 8,00 7,50 5,50
JAPON 6,00 4,75 4,25 9,00 9,00 6,50 6,50 4,25 3,50 6,25 7,25 5,50 5,50 5,00 5,00 5,00 3,00

En donnant un coup d’oeil au tableau l’on peut voir que les taux d’intérêt, à quelques exceptions près, rejoignent leurs maxima en ’74 (’73-’74 pour les taux d’escompte) et ’80-’81. Entre ces deux maxima les taux diminuent, pour remonter ensuite peu avant la nouvelle crise.

A partir de ’82-’83 on peut constater une diminution lente, mais régulière des taux d’intérêt. Cette diminution accompagne la reprise économique vigoureuse qui se fait sentir aux États-Unis et au Japon à partir de ’83. Toutefois cette diminution des taux n’est pas aussi importante qu’elle parait et même s’inversera à partir de ’85 en valeur réelle, par suite de la diminution de l’inflation qui a fait suite à la reprise industrielle, pour atteindre, comme on le verra, des niveaux records. Ce qui annonce une nouvelle récession et cette fois-ci historique!
 

2.1983-’84: REPRISE ÉCONOMIQUE, MAIS AU PRIX D’UN ÉNORME ENDETTEMENT

A partir de 1983 l’on a une vigoureuse reprise industrielle en Amérique. Reprise de courte durée puisqu’elle atteindra son maximum en ’84 (+10,9%), pour ralentir en ’85 (+2,7%) et devenir négative en ’86 avec un petit -0,9%. La courbe industrielle du Japon est exactement parallèle à celle des États-Unis. En Europe la reprise économique sera plus tardive en ne se faisant sentir qu’à partir de 1984 et sera de plus de faible ampleur. La plupart des pays européens ne rattrapant, ou ne dépassant leur maximum antérieur qu’en ’85 (fin ’86 pour l’Italie). 1986 au contraire aura été une année de stagnation générale.

Dans son ensemble la reprise économique n’a pas été merveilleuse. Elle s’est faite au prix d’un endettement fantastique et elle a été accompagnée d’une spéculation inouïe, jamais vue jusqu’ici dans cette après guerre. Surtout, sans les importations massives de produits industriels de la part des États-Unis, le monde serait aujourd’hui en pleine récession. Pour s’en convaincre il suffit de regarder les statistiques fournies par l’ONU: 1983: +11%; 1984: +25%; 1985: +12%; 1986: +15%.
 
 

ONU  INDICE DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE 

BASE 100 = 1980 
  1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986
LE MONDE  74  76  81  88  88  81  87  91  95  100  100  100  96  99  104  110  111 
ÉTATS-UNIS  72  73  80  87  86  78  85  92  98  102  100  102  95  101  112  115  114 
JAPON  67  69  73  85  81  72  80  84  89  96  100  101  101  105  117  122  122 
ALLEMAGNE  84  85  88  93  91  85  91  93  95  100  100  98  95  95  98  103  105 
ANGLETERRE  90  90  91  100  98  92  95  100  103  107  100  97  98  102  103  108  110 
FRANCE  74  79  83  89  91  85  92  93  96  99  100  98  98  99  100  101  102 
ITALIE  71  71  74  81  84  77  86  85  89  95  100  98  95  92  95  97  99 
BELGIQUE  80  82  88  93  96  87  95  95  97  101  100  97  98  99  102  104  105 

 
 
ONU  INCRÉMENT DE LA PRODUCTION INDUSTRIELLE 

1970 1971 1972 1973 1974 1975 1976 1977 1978 1979 1980 1981 1982 1983 1984 1985 1986
LE MONDE  1,3  2,7  6,6  8,6  0,0  -8,0  7,4  4,6  4,4  5,3  0,0  0,0  -4,0  3,1  5,1  5,8  0,9 
ÉTATS-UNIS  -4,0  1,4  9,6  8,8  -1,1  -9,3  9,0  8,2  6,5  4,1  -2,0  2,0  -6,9  6,3  10,9  2,7  -0,9 
JAPON  13,5  3,0  5,8  16,4  -4,7  -11,1  11,1 5,0  6,0  7,9  4,2  1,0  0,0  4,0  11,4  4,3  0,0 
ALLEMAGNE  6,3  1,2  3,5  5,7 -2,2  -6,6  7,1  2,2 2,2  5,3  0,0  -2,0  -3,1 0,0  3,2  5,1  1,9 
ANGLETERRE  0,0  0,0  1,1  9,9  -2,0  -6,1  3,3  5,3  3,0  3,9  -6,5  -3,0  1,0  4,1  1,0  4,9  1,9 
FRANCE  5,7  6,8  5,1  7,2  2,2  -6,6  8,2  1,1  3,2  3,1  1,0  -2,0  0,0  1,0  1,0  1,0  1,0 
ITALIE  7,5  0,0  4,2  9,5  3,7  -8,3  11,7  -1,2  4,7  6,7  5,3  -2,0  -3,1  -3,2  3,3  2,1  2,1 
BELGIQUE  2,5  2,5  7,3  5,7  3,2  -9,4  9,2  0,0  2,1  4,1  -1,0  -3,0  1,0  1,0  3,0  2,0  1,0 

 

3. LES IMPORTATIONS AMÉRICAINES TIRENT L’INDUSTRIE MONDIALE

Aucun autre pays industrialisé n’a importé autant. Au contraire, Japon et Allemagne en tête, tous se mirent à exporter plus qu’ils n’importaient. Dans le même temps, si les États-Unis voyaient l’indice de leurs exportations remonter légèrement à partir de 1983, il n’en restait pas moins encore en 1986 toujours inférieur de 14% à son maximum de 1980.

On le sait, le résultat est un déficit commercial record, qui a entraîné à son tour un endettement croissant des États-unis vis à vis du monde extérieur. La balance des payements qui était positive jusqu’en 1981 devint déficitaire: -107 milliard de dollars en 1984 et -117,7 milliards en 1985. Depuis les choses se sont encore aggravées. Si bien que les États-Unis vivent à crédit sur le monde entier.

La dette extérieure américaine s’accroît au rythme de 12 milliards de dollars par mois. De 220 milliards de dollars en 1986 elle a dépassé les 300 milliards fin ’87, et 1’on prévoit qu’elle pourrait égaler le PIB français en 1990. Il est évident qu’une telle situation ne peut pas durer. Les conséquences en sont la montée des taux d’intérêt et la dévaluation du dollar qui depuis 1985 ne fait que dégringoler. Ce qui veut dire que l’on est déjà dans une situation de surproduction générale.
 

4.1986: CONTRACTION DU MARCHE MONDIAL

L’on retrouve les mêmes conditions qu’avant les récessions de 1975 et de 1980-’82: dévaluation du dollar pour sauver l’économie américaine et hausse des taux d’intérêt. Mais dans une situation générale qui s’est nettement aggravée pour le capitalisme. D’un côté le marché américain tend à se fermer aux exportations européennes et japonaises, de l’autre les marchés qui s’étaient ouverts après la crise de 1975 sont en pleines contractions.

Les pays de l’Est et les pays en développement, par suite de leur endettement croissant (126 milliards de dollars pour les pays de l’Est et 1200 milliards de dollars pour les Pays en voie de développement [PVD] en 1987), tendent à importer le moins possible et à exporter au maximum; ces derniers tendent même à augmenter leurs échanges Sud-Sud, au détriment de leurs échanges avec les pays industrialisés. Le temps où ces pays importaient massivement des capitaux et des marchandises pour s’industrialiser est révolu. Pour pouvoir payer leurs dettes, non seulement les PVD ont réduit notablement leurs importations, mais leurs nouvelles industries, jeunes et compétitives, exerce une vive concurrence à l’encontre de celles des vieux pays industrialisés. De 1984 à 1986, la part des PVD dans l’achat des produits manufacturés se serait réduite de 5% représentant un manque à gagner de 43 milliards de dollars. Voici ce qu’écrivait "Le Monde" du 25-03-86 sur la situation économique et sociale de ces pays et sur les conséquences de la fermeture de leurs marchés.

«Sur quinze ans pourtant, l’évo1ution a été telle, avec la diversification étonnante de leurs productions compétitives, qu’e1le devrait frapper tous ceux qui doutaient d’un décollage industriel du tiers-monde (...) Certes, les versements fortement majorés par l’augmentation des taux d’intérêt et la hausse du dollar ont contribué à l’élimination de concurrents gênants Il s’agit de milliers de fermetures d’usines et d’arrêts de chantiers, de millions d’hommes privés de travail, d’une chutes de revenus par habitant de 10% en trois ans en Amérique latine. Une longue souffrance et un recul économique (...) Dans l’immédiat, les versements exigés ne peuvent être assurés que par une offensive commerciale désespérée des pays endettés, et la fermeture de leurs marchés. Avec toutes les suites et contradictions pour les économies industrielles».
Comme on le voit ces pays sont bien exploités et pressurés par le capital financier international. Cela n’empêchera pas le capitalisme des pays développés de connaître la récession et la déflation comme nous la lui augurons.

La situation des PVD s’est encore trouvée aggravée par la baisse du prix des matières premières liée à une surproduction, d’autant plus importante que l’industrie mondiale a connu en 1986 un ralentissement général. Dans le même temps l’effondrement des cours du pétrole a diminué les importations des pays de l’OPEP (-24% en 1986 et -22% en 1987). C’est surtout l’Europe dont le commerce est important avec ces pays qui en a ressenti les effets.

D’après les économistes bourgeois eux-mêmes, les échanges mondiaux n’auraient sûrement pas dépassé leur niveau de 1981 sans les importations américaines. En 1986, l’augmentation des profits et des revenus consécutifs à la diminution du prix du pétrole et des matières premières, et donc l’augmentation du marché intérieur qui en est résultée pour les pays industrialisés, n’a pas permis de compenser la contraction du marché mondial.

A ce propos le journal Le Monde nous donne des chiffres non dénués d’intérêt sur la croissance industrielle et les exportations d’après guerre. En fait il serait plus intéressant d’avoir ces mêmes chiffres pour les importations qui exprime l’extension du marché, les exportations reflétant de leur côté, comme nous l’enseigne Marx, la croissance industrielle. Dans un travail ultérieur nous verrons à nous procurer ces mêmes chiffres, afin de mettre en parallèle, comme nous l’avons déjà fait dans le passé, la croissance du marché mondial et celle de l’industrie, afin de saisir le moment où les deux courbes se croisent, indiquant ainsi "l’heure" de la crise.

Bref, d’après ce journal les exportations internationales de marchandises ont augmenté de 9% entre 1963 et 1973; de 4% entre 1973 et 1979; et de 2% entre 1979 et 1984; contre respectivement 6%, 3% et 1,5% pour la production industrielle. Ces deux séries de chiffres sont bien parallèles, comme il se devait et confirment la théorie de la baisse tendancielle du taux de profit, pour laquelle nous avons tracé un vaste tableau économique dans notre numéro 11-12 (Volcan de la Production ou Marais du Marché?).
 

5. ENDETTEMENT GALOPANT DES ÉTATS ET MONTÉE DES TAUX

En résumé la reprise économique, qui a fait suite à la récession de 1980-1982, n’a pas été mirobolante et montre les premiers signes de la fin. Celle-ci s’est faite au prix d’un endettement fantastique, tant des États, que des entreprises et des particuliers.

Nous ne disposons pas de toutes les données statistiques, mais les quelques chiffres que nous avons pour les États-Unis et la France sont suffisamment éloquents. En1986, le total de la dette (publique et privée) a dépassé 7400 milliards de dollars, soit sur un an une augmentation de près de 1000 milliards de dollars! Colossal n’est-ce-pas? On se rendra mieux compte de son énormité en en rapportant la valeur à celle du PNB. On obtient alors le chiffre de 177%! Soit le ratio le plus élevé depuis les années trente. La dette publique quant à elle représente environ le 1/4 de ce chiffre fantastique; soit plus de 2000 milliards de dollars en 1986, contre 1000 milliards en 1981: plus du double, en partant d’un chiffre pourtant déjà élevé. D’après les journaux, le déficit public absorberait les 2/3 de l’épargne nationale.

Mais l’État américain n’est pas le seul à s’endetter à ce point. Comme nous l’avons montré dans notre numéro 11-12, tous les autres pays suivent la même pente. Ainsi par exemple pour la France, l’on apprend que la dette publique pourrait passer de 22,6% du PIB en 1984, à 31% de ce même PIB en 1990.

Les États-Unis ne peuvent se payer le luxe d’un tel endettement que parce qu’ils vivent à crédit sur le monde entier. Toutefois il arrivera un moment où le fardeau de la dette extérieure deviendra intolérable, moment d’autant plus proche qu’elle s’accroît à un rythme exponentiel. Alors l’État américain sera contraint de se déclarer en faillite, comme il advint pour l’État anglais durant la grande crise de1848.

Pour le moment le résultat d’un tel endettement est de pousser à la hausse des taux d’intérêt. En effet la dette devient si gigantesque et la demande d’argent si importante que les investisseurs étrangers, notamment japonais, rechignent de plus en plus à acheter des bons du trésor américains; la baisse du dollar elle-même aggravant encore la situation, les obligations antérieurement achetées se trouvant dévalorisées d’autant. De ce fait les investisseurs n’acceptent d’acheter des bons du trésor qu’à condition d’augmenter la prime de risque, c’est à dire les taux d’intérêt.

La dette américaine, et de façon plus générale l’endettement croissant de tous les États, a été l’un des facteurs les plus importants ayant contribué à la hausse de ces taux qui a conduit au Krach boursier le plus retentissant depuis 1929.
 

6. QUAND LES BOURGEOIS SE LANCENT CORPS ET ÂME DANS LA SPÉCULATION

La situation économique d’aujourd’hui est la répétition de celle qui a précédé la grande dépression des années 1930-1931, mais en plus grave. A l’époque la production industrielle américaine avait augmenté de 11% de Janvier 1928 à août 1929 (aggravant d’autant la surproduction), le budget fédéral était équilibré et la balance commerciale excédentaire.

Tout comme aujourd’hui, les années 1928-1929 avaient connu une véritable orgie spéculative. Elle avait été précédée par une diminution des taux d’intérêt de la Banque fédérale de New-York, qui étaient passés de 4% à 3,5%. Là encore la similitude des événements est frappante. En 1986, dans un effort désespéré pour doper l’économie, les Américains ont abaissé quatre fois leurs taux d’escompte.

Aux mêmes causes, les mêmes effets. Dans le contexte général de surproduction, ces diminutions successives, au lieu de stimuler la croissance industrielle, stimulèrent surtout la spéculation à Wall Street. Adolph C Miller, qui travailla à la Banque fédérale américaine, et dont les propos sont rapportés par JK Galbraith, dans son livre The Great Crash 1929, décrivit par la suite les effets de la réduction du taux d’escompte de 1927, comme: «(...) l’une des erreurs les plus coûteuses commise par elle, ou par n’importe quel autre système bancaire durant les derniers 75 ans». Et Galbraith d’ajouter: «Les fonds que la Réserve Fédérale rendit disponibles étaient soit investis dans l’achat d’actions à la bourse, ou (et plus important) ils devenaient disponibles pour aider à financer l’achat d’actions par d’autres. Ainsi pourvus de fonds les gens se ruèrent sur le marché». Un autre bourgeois, toujours cité par Galbraith, conclut: «A partir de ce moment, suivant toutes évidences, la situation échappa complètement à tout contrôle».

Les mêmes évènements se répétèrent en 1986-1987. L’indice Dow jones, parti de 1200 au début de 1985, était passé à 1500 -1800 dans les premiers mois de 1986, où il plafonna ensuite à ce niveau durant quelques temps dans l’attente d’une réforme. Puis à partir du début Janvier 1987 ce fut l’envolée, plus de 30% de hausse, l’indice passant de 1900 à 2722, son record historique qu’il atteignit le 22 août 1987. Nous trouvons une description des mêmes scènes, mais pour 1928, rapportées par le journal Le Monde du 23-10-1987.

«Dés le début 1928, une véritable orgie spéculative se développe, elle est encouragée par la pratique des "ventes sur marges": les acheteurs au lieu de verser la totalité de leurs achats, ne payent que 10% au comptant de la valeur acquise, et déposent des titres de garantie pour les 90% restant, lesquels sont empruntés par les agents de change ("Brokers"), à des taux bien supérieurs à ceux du marché auprès des banques. Les prêts des Brokers passeront de 1,5 milliards de dollars au début des années vingt, à 2,5 milliards en 1926 et à 7 milliards à la fin de 1928, témoins de l’ampleur prise par la spéculation».
On se doute bien que nos "modernes" golden boys, et avec eux les institutions qui les employaient, ont fait mieux que leurs ancêtres de 1929.

Lorsque le capital arrive en fin de cycle, la spéculation est inévitable. Elle exprime simplement ce fait que «l’expansion industrielle est de plus en plus conduite sur la base du système du crédit» et qu’elle réclame toujours plus, pour se maintenir, des facilités de paiement. Le crédit, tout en permettant à la production de repousser plus loin les limites imposées par les rapports de propriété, permet aussi, comme on l’a vu, la spéculation. Plus la société vit à crédit et plus la spéculation se développe. Spéculations industrielles et commerciales d’abord, sans parler de la spéculation immobilière sur les terrains et la construction, puis ensuite, lorsque la production industrielle s’est gonflée démesurément, de telle sorte que s’annonce déjà la surproduction et la crise, spéculation boursière.

Aucun bourgeois, dans ces conditions, ne résiste à la perspective d’un gain facile et immédiat. Tentation qui s’est encore trouvée renforcée du fait du ralentissement général de la production industrielle. Et phénomène important, pour la première fois dans cet après guerre; la diminution de la croissance industrielle s’accompagne d’une baisse notable de l’inflation, alors que jusqu’ici elle avait augmenté régulièrement avec la croissance industrielle, et qu’elle persistait même durant les crises économiques.

D’après les statistiques pour la zone OCDE, elle se maintenait au rythme de 1 à 2% par an, en moyenne, de 1952 à 1965, elle passa ensuite à 5% par an en moyenne de1965 à 1972, pour s’accélérer ensuite et atteindre son maximum en 1980, avec des taux dépassant, dans la plupart des pays, 10% l’an. Depuis le processus s’est inversé: +4,5% en 1985 et +2,7% en 1986.

Nous ne disposons pas du chiffre de 1987, mais l’on sait qu’il est légèrement supérieur à celui de 1986, à cause d’une certaine accélération de la production aux États-Unis, au Japon et dans certains pays d’Europe, dont l’Angleterre qui n’a rejoint et dépassé son maximum de 1979 qu’en 1985. L’Allemagne au contraire voit sa croissance industrielle continuer de ralentir, à cause de la stagnation de ses exportations, et même de leurs régressions en volume. Toutefois l’inflation a recommencé à diminuer ces derniers mois, battant même des records à la baisse.

Cette "désinflation", comme la désigne la presse bourgeoise, ne fait qu’exprimer l’état d’engorgement dans lequel se trouvent les marchés, et subséquemment la concurrence acharnée que se livrent les capitalistes entre eux, qui n’hésitent pas, pour maintenir leurs parts de marché, à diminuer leur marge bénéficiaire, avant d’être contraints de vendre à perte. Dans ces conditions il est évidemment plus avantageux de spéculer que d’investir. Nous citerons ici les propos, tout à fait éloquents, d’un industriel français, rapportés par Le Monde du 10-02-1987.

«La totalité des gros profits que nous avons encaissés l’an dernier provenait, de nos placements sur le marché financier, me disait récemment le président de la filiale argentine d’un très important groupe français». Et le journaliste de commenter: «En effet les producteurs de biens réels (produits manufacturés et agricoles, matières premières, services) se font une concurrence acharnée qui pèse sur les prix, contribuant à maintenir un taux d’inflation relativement bas. Résultat: il est devenu plus rémunérateur d’acheter des titres que de procéder à des investissements matériels (équipement, usines, etc.)».
Pourquoi investir lorsque l’on n’est pas assuré de vendre. Notre journaliste, et avec lui beaucoup de bourgeois et tous les petits bourgeois, croit qu’il suffirait d’arrêter la spéculation pour que les investissements reprennent et que la production redémarre de plus belle. Il ne comprend pas que l’accumulation du capital est devenue si démesurée, qu’il ne peut réaliser sa valeur qu’à crédit. Aussi tous les bourgeois se jetèrent corps et âme dans la spéculation avec une frénésie en rapport avec la formidable accumulation de capital de cet après-guerre.

Les capitaux du monde entier (réels ou fictifs) affluèrent sur les différentes places boursières, principalement Wall Street, la City et celle de Tokyo. A ce sujet l’on pouvait lire dans Le Monde du 14-08-1987: «(...) pour le premier trimestre, les placements étrangers en valeurs mobilières américaines se sont faits à un rythme annuel de 37,2 milliards de dollars, soit deux fois le montant net de l’augmentation des placements enregistrés l’année précédente et sept fois celui de 1985».

Les rachats d’entreprises ou de participation eux-mêmes, bien souvent, n’avaient pas un but économique, mais purement spéculatif, obligeant les entreprises à s’endetter pour racheter leurs parts au prix fort afin de ne pas perdre leur propre contrôle; les fameux OPA (offre publique d’achat) dont la presse a tant parlé.

«La plus grande vague d’achats et de ventes de groupes industriels entiers, dans l’histoire américaine, commence à répandre l’alarme générale. La recherche du profit fait monter le prix des actions à des niveaux que personne n’avait jamais envisagé pour 1985. Mais dans le processus, les entreprises industrielles et commerciales américaines se sont lourdement endettées afin de verser les milliards de dollars nécessaires au rachat de leur contrôle (...) La Fédérale Réserve (la banque centrale américaine, ou FED) dit que le ratio entre la dette des entreprises et leur valeur de marché équivaut à 71,4%, un haut niveau, mais en aucun cas un record. Ce qui rend ce ratio alarmant, d’après les économistes, c’est que tant la valeur des entreprises que le niveau de leur endettement sont extraordinairement élevés; bien que depuis 1981 on assiste à une vaste accumulation de dettes, à la suite de la vague de profits spéculatifs, l’accroissement en valeur des entreprises a grossièrement gardé le pas avec celui de l’endettement, principalement à cause de la montée des valeurs boursières et de l’expansion économique générale. Mais beaucoup craignent que le fardeau du service de la dette puisse heurter gravement l’industrie américaine en cas de profonde récession et de chute des profits (...) un nouveau type de contrôle est apparu depuis 5 ans; achat non pas en vue d’une expansion ou d’une diversification, mais seulement pour liquider une compagnie en vue d’un profit immédiat» (The Herald Tribune du 10-01-1986).
 
 
7. EN ROUTE POUR UN NOUVEAU 1929, BIEN PLUS FORMIDABLE ENCORE !

Voilà où aura conduit la folle accumulation de capital de cet après-guerre. Un gigantesque engorgement des marchés, doublé d’un endettement colossal, une spéculation frénétique, puis une récession et une dévalorisation massive du capital marchand en rapport à l’accumulation antérieure. Cette spéculation ne pouvait à son tour que faire monter les taux d’intérêts. Tous ces facteurs, gonflement démesuré du capital marchandise, endettement colossal, tant des entreprises que des différents États, et en premier lieu, à tout seigneur tout honneur, celui des États-Unis, spéculation sans frein, conduisent à la montée des taux d’intérêt, prélude à la récession générale qui cette fois sera historique.
 

8. LA MONTEE DES TAUX ET LE KRACH BOURSIER

Après avoir rejoint leurs maxima avec la crise de 1980-82, les taux d’intérêt, tout en restant à un niveau élevé, ont nominalement diminué depuis. Toutefois hors inflation le processus s’est inversé, si bien qu’en valeur réelle ils atteignent désormais des sommets historiques. A partir de fin mars 1987, tant à cause de la spéculation, qui cette année a battu tous ses records, qu’à cause de la demande insatiable de fonds de la part du trésor américain, tous les taux d’intérêt à moyen et long terme se sont mis à grimper.

Tous les économistes bourgeois ont dirigé leurs critiques sur la boulimie du trésor américain et sur le déficit record du budget fédéral des États-Unis. Ces derniers ont effectivement un poids incomparable dans l’économie mondiale, néanmoins tous les États sont aujourd’hui hyper endettés et tous entrent en concurrence pour leurs emprunts avec les entreprises sur les marchés des capitaux à long terme.

Il n’en est pas moins vrai que dès fin mars, le rendement des emprunts du trésor américain augmente régulièrement sous la pression des prêteurs, notamment japonais, peu rassurés sur la situation économique américaine et sur la dégringolade du dollar qui dévalorisait d’autant les obligations antérieurement contractées.

Notamment le taux des obligations à 30 ans, considérées comme un emprunt phare, s’éleva régulièrement, prenant de la hauteur à chaque appel trimestriel d’un trésor de plus en plus gourmand. De 7,50% il franchit le seuil des 8%, puis des 9% et enfin des10% pour atteindre le maximum de 10,44% juste avant le krach boursier. Si nous prenons le prime rate, qui correspond aux prêts consentis par les banques aux meilleurs entreprises, nous retrouvons le même phénomène.
 

1987
    MAI      JUIN  JUILLET   AOÛT    SEPT      OCT 
8,14% 8,25% 8,25% 8,25% 8,75% 9,25%

Dans ces conditions les taux d’escompte des différentes banques centrales ne pouvaient à leur tour que monter. C’est ce mouvement général de hausse des taux qui provoqua le krach boursier.

Marx fait remarquer que la valeur des actions monte ou baisse en raison inverse des taux d’intérêt. Lorsque la valeur des titres boursiers s’élève, leur rendement (c’est à dire l’intérêt rapporté à leur valeur) diminue d’autant. Par rapport à d’autres titres ou obligations dont l’intérêt augmente elles se trouveront dépréciées. C’est ce qui s’est passé en octobre. D’autre part la cherté de l’argent a contraint un certain nombre d’institutions et d’entreprises à se défaire de leurs titres pour se procurer de l’argent: «Aux époques de basses eaux sur le marché de l’argent, ces titres verront donc leurs prix s’effondrer pour deux raisons; d’abord parce que le taux d’intérêt monte, et ensuite, parce qu’ils sont jetés sur le marché en quantités massives par ceux qui veulent les réaliser en argent» (Le Capital, p.131).

Tous les bourgeois, après avoir connu les délices et le délire de la montée des cours sont alors saisis par la terreur et chacun se presse de vendre à qui mieux mieux. «Quand la panique règne, un homme d’affaires ne se demande pas à quel taux il peut investir ses billets de banque, ou s’il va perdre 1 ou 2% en vendant ses bons du trésor ou son 3%. Quand il se trouve sous l’influence de la terreur, peu lui importe le gain ou la perte. Il se met lui même à l’abri, le reste du monde peut faire ce qu’il veut» (idem, p.79).

On connaît le résultat: des millions et des millions de titres vendus en une seule journée. Tous les mass media ont à cette occasion parlé de pertes fabuleuses; 1000 milliards de dollars à Wall Street, 405 milliards de dollars a la bourse de Tokyo, etc. Tous ces chiffres mirobolants ne sont rien d’autre que des fadaises. La montagne de papiers que représentent ces titres n’a aucune valeur par elle même. Le capital argent qui a été dépensé à leur achat est consommé depuis longtemps, soit dans la production par l’industrie, soit de façon stérile dans des affaires louches et spéculatives, soit improductivement pour les besoins de l’État. Dans tous les cas il n’y a pas création de valeur à la bourse. Et si le Krach boursier n’annonçait pas la récession générale, les nations ne se retrouveraient pas plus pauvres qu’avant.

Comme l’indique Engels, dans une lettre que nous publierons à la fin de cet article, la bourse est avant tout un lieu où les bourgeois s’escroquent mutuellement. Et le krach boursier a pour effet de concentrer les titres dans la poche de quelques-uns au détriment des autres.

«La dépréciation qu’ils ont subi pendant la crise est un puissant moyen de centralisation de la richesse financière. Si la chute ou la montée des cours de ces titres n’a pas de rapport avec le mouvement de la valeur du capital réel qu’ils représentent, la richesse d’une nation est aussi grande avant leur dépréciation ou la hausse de leur valeur qu’après.
Si cette dépréciation ne traduisait pas un arrêt réel de la production et du trafic par canaux et voies ferrées, ou d’entreprises déjà en chantier ou la dilapidation de capital dans des affaires positivement sans valeur, l’éclatement de ces bulles de savon gonflées de capital argent nominal ne ferait pas la nation plus pauvre d’un liard» (idem, p.131).
Ceux qui y ont laissé des plumes, outre certains spéculateurs et gros bourgeois, sont avant tout les petits bourgeois, mais bien entendu nous ne verserons pas une larme sur ces couillons qui ne méritent de toute façon que coup de pied au cul, sinon des coups de trique.

Mais pour revenir aux affirmations des mass media, qui présentent le krach boursier comme une catastrophe générale qui aurait appauvri les nations et pourrait entraîner une récession, par suite d’une réduction du marché à la suite de ces pertes; étant incapables, pour des raisons de classe, de comprendre l’origine de la valeur, ils renversent la réalité des choses en prenant l’effet pour la cause.

En conclusion nous donnerons l’analyse que Marx-Engels firent en 1850, dans la Neue Rheinische Zeitung, des événements économiques qui précédèrent la grande crise de 1847-1848:

«Les années 1843-45 furent des années de prospérité industrielle et commerciale. Nécessaire conséquence de la dépression industrielle, quasi continue, durant la période 1837-1842. Comme toujours, très rapidement la prospérité donna naissance à la spéculation. Régulièrement la spéculation apparaît quand la surproduction est déjà pleinement développée. Elle fournit des canaux par lesquels cette surproduction peut momentanément être détournée, bien que dans le même temps elle hâte la venue de la crise et amplifie son impact. La crise elle-même apparaît d’abord sur le terrain de la spéculation et s’empare seulement après de la production. Ce n’est donc pas la surproduction, mais la surspéculation, qui n’est en soi qu’un simple symptôme de la surproduction, qui apparaît, à une vue superficielle, comme la cause de la crise. L’interruption violente de la production qui suit, n’apparaît pas comme la nécessaire conséquence de son exubérance antérieure, mais purement comme la répercussion de l’effondrement spéculatif» (Collected Works of Marx-Engels, Volume 10, p.490).
 
 
 
 
IV. BIEN CREUSÉ VIEILLE TAUPE !
 
 

1. LA CRISE DE 1975

1975 fut la première grande récession de cet après guerre qui frappa en même temps toutes les grandes nations industrialisées, y compris les pays de l’Est. Toutefois l’on ne connut pas la grande crise d’entre deux guerres que notre parti attendait.

Le capitalisme, dans les grandes pays impérialistes, n’avait pas brûlé toutes ses réserves et disposait encore suffisamment de marges de mande surproduction ne se déplie dans toutes ses potentialités: importante chute de la production conjuguée à une dévalorisation massive de capital-marchandise, avec pour corollaire celle de cette énorme masse de papiers que sont les titres en tous genres, puis son cortège de faillites d’entreprises industrielles et commerciales et de banques.

On eut bien une chute aiguë de la production industrielle, avec des faillites retentissantes, mais elle ne fut pas suffisante et dura un laps de temps trop court pour entraîner une dévalorisation massive du capital. Au lieu de la déflation, l’inflation se maintint, et même, avec la reprise économique qui fit suite, elle s’amplifia pour atteindre un sommet durant la crise de 1980-1982.

Dans les secteurs les plus touchés, comme la production d’acier, de ciment, les chantiers navals, la construction, etc., les États intervenaient à coups de subventions pour soutenir leurs industries et obligeaient en même temps les industriels d’une même branche à s’entendre, afin de réduire la production, tout en maintenant les prix. Ce qui permettait de rehausser le taux de profit, tombé au niveau zéro, au détriment des ouvriers, qui eux étaient licenciés massivement.

Parallèlement de nouveaux marchés s’ouvraient: la hausse considérable du prix du pétrole a permis un transfert imposant de richesses vers les pays de l’OPEP, qui offrirent en contre partie un important débouché aux marchandises occidentales. Sous couvert de transfert de technologie, les pays dits du tiers-monde (surtout l’Amérique latine et l’Asie), rebaptisés pays en voie de développement, furent l’objet d’une sollicitation renforcée, c’est-à-dire d’un plus grand pillage: exportation de capital argent (à crédit bien sûr) pour permettre l’exportation de la surproduction des nations impérialistes.

Dans le même temps, l’endettement des États impérialistes eux-mêmes, qui avait pour but de limiter la casse et de stimuler la production, prit des proportions inouïes.

Aujourd’hui le capitalisme a brûlé toutes ses cartouches. Les marchés qui s’étaient ouverts après la crise de 1975 se referment; soit à cause du poids d’un endettement devenu intolérable, qui pousse les PVD à exporter le plus possible, tout en réduisant au maximum leurs importations, soit à cause de la baisse du prix du pétrole, due à une surproduction consécutive à une multiplication des puits et à une intense spéculation dans un domaine qui était devenu très lucratif, ce qui oblige les pays de l’OPEP à réduire de façon drastique leurs importations.

Le marché américain, qui tira l’économie mondiale après la crise de 1980-82, se ferme à son tour aux importations européennes et japonaises. La dévaluation du dollar – presque 100% contre le mark et le yen – jouant le rôle de barrière douanière. La consommation et l’activité économique elles mêmes, notamment dans le bâtiment, diminuent depuis trois mois consécutifs aux États-Unis, la croissance industrielle reposant désormais sur les exportations. Dans ce contexte la concurrence devient de plus en plus acharnée sur le marché mondial, rendant désormais toute entente au sein d’une même branche industrielle toujours plus difficile. L’incapacité des pays de l’OPEP à s’entendre en est une bonne illustration.

Enfin l’endettement des différents États et la spéculation frénétique de ces dernières années, après avoir offert un répit en élargissant la sphère de reproduction, voient dialectiquement leurs effets s’inverser: en poussant à la hausse des taux d’intérêt, ils précipitent la crise, tout comme l’avait fait en son temps l’augmentation du prix du pétrole.

Jusqu’ici nous n’avons pas beaucoup parlé des pays de l’Est, cependant la situation économique n’y est pas plus brillante. La nouvelle politique économique et sociale du gouvernement de Gorbatchev (qui est identique à celle des pays de l’Ouest: déréglementation faisant jouer plus étroitement la loi du marché, fermeture des entreprises non rentables, licenciement du personnel en trop, vérité des prix, etc.) expriment justement les difficultés du capitalisme soviétique. Dans Le Monde du 05-11-1987, on pouvait lire une description saisissante de l’état de l’économie soviétique rapporté par un grand commis d’Etat:

«Ce qu’il faudrait, c’est un certain volant de chômage, un minimum d’insécurité dans l’emploi, pour que les gens fassent un effort dans leur travail (...) Selon M. Abel Agaubeguiou, un des conseillers de M Gorbatchev pour les affaires économiques, la production agricole est aujourd’hui inférieure à celle de 1978; il n’y a eu aucune croissance économique en URSS de 1979 à 1985; la production a diminué pour 40% des biens industriels, la productivité est en baisse, ainsi que le rendement des investissements (...) Pour les entreprises, l’autonomie signifie qu’elles devront équilibrer leur bilan, et que, dans une certaine mesure, les unités déficitaires ne pourront plus compter sur des subventions de l’État pour maintenir artificiellement des productions inutiles ou obsolètes». Et le journaliste de s’interroger; «Comment les autorités pourraient-elles à la fois pratiquer une politique de vérité des prix et des salaires, et maintenir le niveau de vie, ainsi qu’elles le proclament? Permettre aux entreprises de licencier les travailleurs en surnombre, et continuer à maintenir artificiellement le plein emploi alors que la productivité est déjà dramatiquement basse?»
 
 
2. QUAND L’INCENDIE EST ÉTEINT AVEC DU PÉTROLE

A l’Est comme à l’Ouest le capitalisme est mûr pour une grande crise de surproduction. Tous les ingrédients d’une telle crise sont en place. Et la diminution momentanée des taux d’intérêt, tout comme après le krach boursier de 1929, ne change rien à cette réalité profonde. Au contraire, la façon dont le jeu a été calmé n’a fait qu’empirer l’état de choses. Pour éviter que le krach boursier ne se transforme en faillite générale du capital financier, puis en crise commerciale et industrielle, la Federal Reserve Board, bientôt suivie des autres banques centrales, donna ordre aux différentes banques américaines de répondre à toute demande d’argent liquide. Ce qui impliquait qu’elle couvrirait ces demandes, faisant ainsi chuter les taux d’intérêt. Les taux sur les fonds fédéraux tombèrent de 7 ½% à 5 7/8% - 6 1/8%. Ceux sur les bons du trésor à trente ans repassant sous la barre des 10%.

L’intervention des banques centrales permit donc de calmer le jeu, mais à crédit. Ce mouvement fut renforcé du fait que dès le début de la chute des cours, les investisseurs se sont portés massivement sur les valeurs à revenu fixe, c’est-à-dire sur le marché des obligations, considéré en la circonstance comme plus sûres.

Mais comme le soulignait Le Monde du 13-14 Déc 1987,

«En termes pratiques, cela a signifié que l’institut d’émission américain s’est mis à acheter sans compter des titres de la dette publique dont les banques cherchent à se débarrasser pour se procurer du cash. Dans l’immédiat, cela soulage les banques, mais a aussi pour effet d’augmenter la masse des bons du trésor pratiquement gelés dans les actifs, cette fois-ci de la banque centrale des État-Unis».
Si bien qu’ils ont bien éteint, momentanément, l’incendie, mais avec du pétrole! Sur les différents marchés la masse des titres est devenue colossale. Et le gouvernement américain en arrosant trimestriellement le marché d’obligations pour satisfaire ses besoins de trésorerie, ne fait qu’augmenter cette masse. Or en période de crise, ce dont on a besoin, ce n’est pas de titres, mais d’argent! Les banques centrales, elles-mêmes, dont la fonction est de répondre aux besoins de liquidité en constituant des réserves monétaires, ont immobilisé une bonne partie de leurs réserves avec de tels titres.

Depuis les accords du Louvre les différentes banques centrales interviennent activement pour soutenir le cours du dollar. Elles le font en achetant massivement des dollars qu’elles recyclent outre Atlantique, en acquérant des bons du trésor américain, qu’elles thésaurisent dans leurs coffres parce qu’invendables. Rien que pour1987, elles ont dépensé entre 110 et 140 milliards de dollars (entre 32 et 37 milliard pour la seule banque du Japon) pour soutenir le cours de la devise américaine. Dans le même article le journaliste notait: «Nous ne sommes plus loin du moment où, premièrement, la liquidité du système dans son ensemble risque de n’être plus assurée, et deuxièmement, les avantages de la simple négociabilité – possibilité de vendre, mais avec un risque de prix – seront eux mêmes remis en cause (ce qu’ils sont déjà, pour certains types d’emprunts, sur l’euromarché)».

Un grand bourgeois anglais, cité devant une commission d’enquête parlementaire, à la suite de la crise de 1847, indiquait déjà: «Voici quel est notre système, nous avons pour 300 millions de livres sterling d’engagements, dont le paiement en monnaie nationale courante peut être exigé à un moment donné: et cette monnaie nationale, même si nous l’employons toute à cet usage, s’élève à 23 millions de livres sterling ou à quelque autre chiffre, peu importe, n’est-ce pas là une situation qui peut à tout instant provoquer des convulsions?» Et Marx de commenter: «D’où, pendant les crises, le brusque passage du système de crédit au système monétaire» (Le Capital, T.7, p197).

«La quantité de traites en circulation est donc en définitive déterminée, comme celle des billets de banque, par les besoins du commerce; en période normale, dans les années cinquante à soixante, il circulait dans le Royaume-Uni, à côté de 39 millions de billets de banque, à peu près 300 millions d’effets, dont 100-120 millions sur la seule place de Londres. Le volume de la circulation de ces traites n’a aucune influence sur le volume de la circulation des billets et n’est influencé par lui qu’en période de pénurie monétaire; alors la quantité des traites augmente et leur qualité se détériore. Enfin, au moment de la crise, la circulation des traites cesse totalement; personne ne peut avoir besoin de promesses de paiement, puisque tout le monde ne veut accepter que des paiements en espèces, seul le billet de banque conserve, du moins a conservé jusqu’à présent, en Angleterre, sa capacité de circulation, car c’est la nation qui, avec toutes ses richesses, se tient derrière la Banque d’Angleterre» (idem, p.201).
Nous ne connaissons pas le rapport existant aujourd’hui entre la masse des traites en circulation, et de façon plus générale de tout ce château de papier que sont les obligations, bons du trésor, actions etc, qui représentent du capital fictif, et la masse monétaire réelle, en circulation ou stockée dans les coffres des banques, notamment centrales. Mais l’on peut imaginer que ce rapport doit être vertigineux et bien supérieur à celui qui avait cours dans l’Angleterre de 1847.

En URSS, la pénurie des moyens de paiements pourrait se trouver aggravée par une chute de la production des céréales, comme il advint en 1975 (-20% à l’époque!). Le caractère cyclique des crises agricoles en URSS et la pénurie actuelle semble bien conforter une telle perspective. Dans ce cas l’État soviétique sera contraint d’immobiliser d’importants fonds en devises pour acheter des céréales. Ces débours, malheureusement, profiteront à son compère et concurrent américain, mille fois plus vampire, en soulageant d’autant sa surproduction agricole.
 

3. LA CRISE DE 1847, PROTOTYPE DE TOUTES LES CRISES DE SURPRODUCTION

Lorsque la crise se présentera, emportant sur son passage tous les "châteaux de cartes" du capital financier, entraînant la faillite de milliers et de milliers d’entreprises commerciales et industrielles, ainsi que la dévalorisation massive de la pléthore de capital productif et marchandise, balayant les mirages et les illusions de la société bourgeoise, et the last but not the least, secouant de sa torpeur ce géant qu’est le Prolétariat en ramenant la lutte des classes, alors nous l’ accueillerons d’un formidable rire homérique, en criant les paroles de Marx: "Bien creusé vieille Taupe!"

«Mais tous les bâtiments de fabrique récemment construits, toutes les machines à vapeur et à filer, tous les métiers à tisser étaient insuffisants pour absorber la plus-value qui afflue en masse au Lancachire. Avec la même passion que l’on avait mise à augmenter la production, on se jeta alors dans la construction des chemins de fer; dès l’été 1844, l’envie de spéculer des fabricants et des commerçants trouva à se satisfaire. On souscrivit autant d’actions que possible, c’est-à-dire jusqu’à concurrence de la couverture des premiers paiements; pour le reste, on verrait plus tard lorsque l’on eut à faire de nouveaux paiements, on dut en faire les frais.
«Dans la plupart des cas, ces affaires propres étaient, elles aussi, déjà écrasées de charges. La tentation de profits élevés avait conduit à des opérations bien plus étendues que ne pouvaient le justifier les liquidités disponibles. Mais le crédit existait, facile à obtenir et, de plus, bon marché. L’escompte bancaire était bas: 1 3/4 à 2 3/4% en 1844, au-dessous de 3% en 1845 jusqu’en octobre, puis en hausse, atteignant 5% pendant un court laps de temps (février 1846); enfin, retombant à nouveau jusqu’à 3 1/4% (décembre 1846). La banque possédait dans ses caves un stock d’or d’un montant inouï. Jamais auparavant les valeurs boursières intérieures n’avaient été aussi élevées Pourquoi alors laisser passer la belle occasion, pourquoi ne pas aller hardiment de l’avant? Pourquoi ne pas fournir aux marchés étrangers assoiffés de produits anglais toutes les marchandises qu’il était possible de fabriquer? Et pourquoi le fabricant lui-même n’aurait-il pas récolté le double gain résultant de la vente du fil et du tissu dans l’Est lointain, et de la vente en Angleterre du fret de retour qu’il en avait obtenu?
«C’est ainsi que s’est développé le système des consignations massives (expéditions de marchandises) contre avances, vers l’Inde et la Chine qui, très vite, évolua vers un système de consignation uniquement pour obtenir des avances comme l’expliquent en détail les notes qui vont suivre; elles montreront aussi comment cette pratique devait nécessairement aboutir à un engorgement massif des marchés et au krach.
«C’est à la suite de la mauvaise récolte de 1846 que le krach éclata. L’Angleterre et particulièrement l’lrlande eurent besoin d’une importation énorme de moyens de subsistance, surtout en blé et pommes de terre. Mais les pays fournisseurs ne pouvaient être payés que pour une part infime en produits industriels anglais; il fallait payer avec des métaux précieux, de l’or, pour au moins 9 millions, partit pour l’étranger; de cet or, 7 millions et demi provenait du Trésor de la Banque d’Angleterre, dont la liberté de mouvement sur le marché financier se trouva par là sensiblement paralysée, les autres banques, dont les réserves sont déposées à la banque d’Angleterre, se confondant effectivement avec les réserves de cette banque, durent alors limiter leurs facilités monétaires (attributions de crédit). Le flux rapide et aisé des paiements s’en trouva perturbé, d’abord localement, ensuite partout. L’escompte bancaire qui était encore en janvier 1847 de 3 à 3 1/2% s’éleva en avril à 7%, déclenchant la première panique; ensuite, en été, se manifesta une petite amélioration passagère (6 1/2 et 6%), mais, comme la nouvelle récolte était encore mauvaise, la panique éclata plus violemment que jamais. Le taux minimum officiel de la Banque s’éleva en octobre à 7%, en novembre à 10%, ce qui voulait dire que la grande majorité des traites était seulement escomptée contre des intérêts usuraires énormes, ou pas du tout; l’arrêt général des paiements amena un certain nombre de firmes de premier plan et beaucoup, beaucoup d’autres de moyenne et faible importance à la banqueroute» (idem, p.72-73).
 
 
 
 

V. LES FORCES PRODUCTIVES SE REBELLENT CONTRE LES RAPPORTS DE PRODUCTION
 
 
Nous voulons écarter ici tout malentendu sur les causes de la crise de surproduction. Nous avons analysé, en suivant Marx, la crise dans sa complexité phénoménale. Mais en mettant l’accent sur le rôle du crédit et la raréfaction des moyens de paiement durant la crise, on pourrait peut-être croire que son origine se trouve dans la sphère de circulation et non dans celle de la production.

En fait des sorties considérables d’argent, à cause soit d’une crise agricole, ou de l’augmentation importante du prix d’une matière première indispensable à l’industrie – comme le coton dans l’Angleterre du siècle dernier, ou le pétrole en 1973 et 1979 – ou encore à cause d’une forte demande d’argent de la part de l’État pour ses besoins de trésorerie, faisant monter les taux d’intérêt, ne provoque pas la crise, mais la précipite. La crise a lieu parce que l’on se trouve déjà en situation de surproduction. En phase ascendante du cycle productif, lorsque le seuil de surproduction est encore loin, des sorties importantes de fonds de la part de la Banque Centrale peut tout ou plus perturber le cycle, provoquer une mini crise, mais en aucun cas une grande crise historique comme celle de 1847.

D’autre part la cause de la surproduction n’est pas extérieure au procès de production capitaliste, mais se trouve dans ce procès lui-même. Avant de mieux expliciter ce point, nous voulons ici rapporter le résumé qu’Engels fait de toutes les crises dans Socialisme Utopique et Socialisme Scientifique.

«L’énorme force d’expansion de la grande industrie, à côté de laquelle celle des gaz est un véritable jeu d’enfant, se manifeste à nous maintenant comme un besoin d’expansion qualitatif et quantitatif, qui se rit de toute contre-pression. La contre-pression est constituée par la consommation, le débouché, les marchés pour les produits de la grande industrie. Mais la possibilité d’expansion des marchés, extensive aussi bien qu’intensive, est dominée en premier lieu par des lois toutes différentes, dont l’action est beaucoup moins énergique. L’expansion des marchés ne peut pas aller de pair avec l’expansion de la production. La collision est inéluctable et comme elle ne peut engendrer de solution tant qu’elle ne fait pas éclater le mode de production capitaliste lui-même, elle devient périodique. La population capitaliste engendre un nouveau "cercle vicieux".
«En effet, depuis 1825, date où éclata la première crise générale, la totalité du monde industriel et commercial, la production et l’échange de l’ensemble des peuples civilisés et de leurs appendices plus ou moins barbares se détraquent environ une fois tous les dix ans. Le commerce s’arrête, les marchés sont encombrés, les produits sont là aussi en quantités aussi massives qu’ils sont invendables, l’argent comptant devient invisible, le crédit disparait, les fabriques s’arrêtent, les masses travailleuses manquent de moyens de subsistance pour avoir produit trop de moyens de subsistance, les faillites succèdent aux faillites, les ventes forcées aux ventes forcées. L’engorgement dure des années, forces productives et produits sont dilapidés et détruits en masse jusqu’à ce que les dépréciations plus ou moins fortes, jusqu’à ce que production et échange reprennent peu à peu leur marche. Progressivement, l’allure s’accélère, passe au trot, le trot industriel se fait galop et ce galop augmente à son tour jusqu’au ventre à terre d’un steeple chase complet de l’industrie, du commerce, du crédit et de la spéculation, pour finir, après les sauts les plus périlleux, par se retrouver... dans le fossé du krach. Et toujours la même répétition. Voilà ce que nous n’avons pas vécu moins de cinq fois depuis 1825, et que nous vivons en cet instant (1877) pour la sixième fois. Et le caractère de ces crises est si marqué que Fourier a mis le doigt sur toutes en qualifiant la première de crise pléthorique.
«On voit, dans les crises, la contradiction entre production sociale et appropriation capitaliste arriver à l’explosion violente. La circulation des marchandises est momentanément anéantie; le moyen de circulation, l’argent, devient obstacle à la circulation; toutes les lois de la production et de la circulation des marchandises sont mises sens dessus dessous. La collision économique atteint son maximum: le mode de production se rebelle contre le mode d’échanges, les forces productives se rebellent contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes» (p.105-106, Éditons sociales 1973) [Les passages en gras le sont par nous, par contre ceux en italique le sont par Engels].
Il n’était pas forcément nécessaire pour notre propos de donner toute cette longue citation. Mais il était difficile d’y résister. Que dit Engels: qu’à l’énorme force d’expansion des forces productives s’oppose la contre pression exercée par le marché. Les lois du développement du marché et de la production étant différentes, il se produit un heurt conduisant à une crise, puis à l’explosion sociale en cas de révolution. La crise dans ce cas résulte de la contradiction existant entre le marché et la force d’expansion de l’industrie qui se rit de toute contre pression.

Cependant Engels n’en reste pas là. Il poursuit en indiquant que la crise provient de la contradiction entre "production sociale et appropriation capitaliste" conduisant à une rébellion du mode de production contre le mode d’échanges et des forces productives contre le mode de production pour lequel elles sont devenues trop grandes. La contradiction est donc double; en fait il s’agit d’une seule et même contradiction vue sous deux aspects différents. La contradiction entre le caractère social des forces productives et l’appropriation privée des moyens de production et de consommation (ce qu’Engels appelle appropriation capitaliste).

Cette contradiction se manifeste immédiatement par l’antagonisme existant entre la production qui possède ses propres lois de développement et le marché dont les lois d’expansion sont différentes. Cependant si l’on s’arrêtait à cet aspect des choses, la contradiction fondamentale, inhérente au capitalisme resterait extérieure au mode de production.

«D’abord il existe une limite inhérente, non à la production en générale, mais à la production fondée sur le capital. Cette limite est double, ou plutôt, il s’agit d’une seule et même limite, envisagée dans deux directions. II suffit de montrer ici que le capital contient une limitation particulière de la production – contredisant sa tendance générale à dépasser tous les obstacles qui entravent cette production – pour découvrir du coup la cause de la surproduction, la contradiction fondamentale du capital développé; pour découvrir tout simplement que le capital n’est pas, comme le pensent les économistes, la forme absolue de développement des forces productives – ni une forme de richesse qui coïnciderait absolument avec le développement des forces productives» (Les Gründrisse, éd social, t.1, p.354-355).
Marx énumère ensuite ces différentes limites qui toutes sont liées à la création de valeur et donc au caractère privé de l’appropriation. Disons sans trop nous appesantir, que toutes les contradictions que le capital dans son mouvement doit constamment surmonter peuvent se ramener à ceci: le capital dans sa faim de travail vivant, ou plus exactement de surtravail, c’est-à-dire de plus-value, est contraint d’accroître constamment la puissance du travail afin de réduire le travail nécessaire. Il s’ensuit que le travail devient toujours plus superflu face à l’apport technologique et à la productivité des moyens de production. Ce faisant le capital produit sa propre négation: d’un côté, afin de satisfaire son appétit insatiable de plus-value, il socialise les travailleurs et rend le travail nécessaire de moins en moins indispensable; en un mot il développe sur une échelle toujours plus large les bases de la société communiste. De l’autre, la part du travail vivant se réduisant constamment face au travail mort, le capital mine ses propres bases comme production et accumulation de valeur. De là les crises de surproduction après un cycle d’accumulation, devenant chaque fois, toujours plus terrifiantes.
«L’échange de travail vivant contre du travail objectivé, c’est-à-dire la position du travail social sous la forme de l’opposition entre capital et travail salarié – est le dernier développement du rapport de valeur et de la production reposant sur la valeur. La condition implicite de celle-ci est et demeure: la masse de temps de travail immédiat, le quantum de travail employé comme facteur décisif de la production de la richesse. Cependant, à mesure que se développe la grande industrie, la création de la richesse réelle dépend moins du temps de travail et du quantum de travail employé que de la puissance des agents mis en mouvement au cours du temps de travail, laquelle à son tour – leur puissance efficace – n’a elle-même aucun rapport avec le temps de travail immédiatement dépensé pour les produire, mais dépend bien plutôt du niveau général de la science et du progrès de la technologie, autrement dit de l’application de cette science à la production (...)
«Dans cette mutation, ce n’est ni le travail immédiat effectué par l’homme lui-même, ni son temps de travail, mais l’appropriation de sa propre force productive générale, sa compréhension et sa domination de la nature, par son existence en tant que corpus social, qui apparaît comme le grand pilier fondamental de la production et de la richesse. Le vol du temps de travail d’autrui, sur quoi repose la richesse actuelle, apparaît comme une base misérable comparée à celle, nouvellement développée, qui a été créée par la grande industrie elle-même. Dés lors que le travail sous sa forme immédiate a cessé d’être la grande source de la richesse, le temps de travail cesse nécessairement d’être sa mesure et, par suite, la valeur d’échanges d’être la condition du développement de la richesse générale, de même que le non travail de quelques uns a cessé d’être la condition du développement des pouvoirs universels du cerveau humain. Cela signifie l’écroulement de la production reposant sur la valeur d’échange, et le procès de production matériel immédiat perd lui-même la forme de pénurie et de contradiction. C’est le libre développement des individualités, où l’on ne réduit donc pas le temps de travail nécessaire pour poser du surtravail, mais où l’on réduit le travail nécessaire de la société jusqu’à un minimum, à quoi correspond la formation artistique, scientifique, etc. des individus grâce au temps libéré et aux moyens créés pour eux tous. Le capital est lui-même la contradiction en procès, en ce qu’il s’efforce de réduire le temps de travail à un minimum, tandis que d’un autre côté il pose le temps de travail comme seule mesure et source de la richesse» (idem, p.192-193).
Et cette contradiction fondamentale, qui est l’autre aspect de l’antagonisme entre le caractère social des forces productives et l’appropriation privée (appropriation dont le caractère privé est déterminé par les rapports de production que sont le salariat et le capital), se manifeste par la loi de la baisse tendancielle du taux de profit.
«C’est là, à tout point de vue, la loi la plus importante de l’économie politique moderne et la plus essentielle à la compréhension des rapports les plus complexes. Du point de vue historique, c’est la loi la plus importante. C’est une loi qui jusqu’ici, malgré sa simplicité, n’a jamais été comprise et encore moins consciemment exprimée. Étant donné que cette diminution du taux de profit est synonyme 1) de la force productive déjà produite et de la base matérielle qu’elle constitue pour une nouvelle production; ce qui présuppose en même temps un Énorme développement des puissances scientifiques; 2) de la diminution de la partie du capital déjà produit qui doit être nécessairement échangé contre du travail immédiat, c’est-à-dire de la diminution du travail immédiat requis pour la reproduction d’une valeur énorme qui s’exprime dans une grande masse de produits (...); 3) de la dimension du capital en général, y compris la portion de ce dernier qui n’est pas du capital fixe; donc synonyme de commerce énormément développé, d’une somme importante d’opérations d’échanges, de l’extension du marché et de la grande diversité du travail simultané; moyens de communication, etc. (...) que le développement des forces productives suscité par le capital lui-même dans son développement historique, parvenu à un certain point, abolit l’auto-valorisation du capital au lieu de la poser. Au delà d’un certain point, le développement des forces productives devient un obstacle pour le capital; donc le rapport capitaliste devient un obstacle au développement des forces productives du travail. Parvenu à ce point, le capital, c’est-à-dire le travail salarié, entre vis à vis du développement de la richesse sociale et des forces productives dans le même rapport que les corporations, le servage, l’esclavage, devient une entrave dont, nécessairement, on se débarrasse. L’ultime figure servile que prend l’activité humaine, celle du travail salarié d’un côté, du capital de l’autre, se trouve ainsi dépouillée, et ce dépouillement lui-même est le résultat du mode de production correspondant au capital; les conditions matérielles et intellectuelles de la négation du travail salarié et du capital, qui sont déjà elles-mêmes la négation de formes antérieures de la production sociale non libre, sont elles mêmes résultats de son procès de production. L’inadéquation croissante du développement productif de la société aux rapports de production qui étaient les siens jusqu’alors s’exprime dans des contradictions aiguës, des crises, des convulsions. La destruction violente du capital, non pas par des circonstances qui lui sont extérieures mais comme condition de sa propre conservation, est la forme la plus frappante du conseil qui lui est donné de se retirer pour faire place à un niveau supérieur de production social» (idem, T.II. p.236-237) [Comme précédemment nous nous sommes permis de mettre en gras quelques mots clefs, mais les passages en italiques sont de Marx].

 
 

VI. CRISES ET GUERRES SONT INEVITABLES SI LE PROLETARIAT NE PREND PAS LE CHEMIN DE LA REVOLUTION

La crise qui vient sonnera le glas de la société bourgeoise en ramenant la lutte de classe, mettant fin ainsi à soixante ans de contre-révolution. Soixante ans de crétinisme et d’abêtissement sans nom, qui ont vu cinquante millions d’hommes s’exterminer en un carnage immonde, permettant au capitalisme, pendant 30 ans de reparcourir tout un nouveau cycle d’accumulation, abrutissant encore plus le prolétariat et les larges masses de la société, le débilitant complètement avec l’aide de l’opportunisme et l’exploitant doublement; d’abord comme producteur de plus-value, ensuite comme consommateur, en lui faisant miroiter le "bien être" d’un monde réifié, fondé sur la concurrence, l’exaltation de l’individualisme, l’atomisation de toute communauté, la dissolution de toute convivialité; faisant passer les comportements et les produits les plus asociaux pour le summum du développement humain – qui ne se prostitue pas pour avoir sa voiture, son frigidaire, son téléviseur couleur? – exaltant les instincts les plus bas, rabaissant les sentiments les plus élevés, érigeant la connerie en système.

Si bourgeois et petits bourgeois se désespèrent à la venue de la crise, nous, au contraire, l’accueillerons avec joie, en y puisant une vigueur et une force nouvelle. Elle annoncera la fin de ce cauchemar que représente la société bourgeoise. Tel un tremblement de terre, elle ébranlera tout l’édifice social jusqu’en ses fondements, balayant mirages et illusions, démystifiant la propagande de l’opportunisme et de la bourgeoisie. Elle ruinera cet ignoble marais de la paix sociale que sont les classes moyennes et l’aristocratie ouvrière; expropriant massivement et férocement ces couches débiles et crétinisées, prélude indispensable à la révolution. Elle secouera le prolétariat de sa torpeur et de sa léthargie, le sortant de l’état d’abrutissement auquel la société bourgeoise le réduit, pour le rendre de nouveau apte à l’action.

«Les crapauds prospèrent, après tout étant donné la prospérité momentanée et la perspective de la gloire de l’empire, les ouvriers semblent s’être parfaitement embourgeoisés. Ils auront besoin d’endurer quelques crises et d’être à rude école pour redevenir sous peu capables de faire quelque chose» (Lettre d’Engels à Marx du 24.09.1852).
Et l’état de crise économique chronique dans lequel se trouve la société bourgeoise depuis 13 ans aura préparé "le terrain". La fraction du prolétariat qui sortira des rangs pour rejoindre le parti sera alors plus importante qu’elle n’aurait pu l’être, si la grande crise d’entre deux guerre, que notre parti a prévu et attend depuis longtemps, était venue sans coup férir, après trente ans de "prospérité" et d’abrutissement général, en 1975. Là, au contraire, elle aura été annoncée par deux crises antérieures qui auront en partie préparé les masses. Crises qui insidieusement exercent un travail de sape vis à vis de l’influence morale de la bourgeoisie et de ses agents au sein du prolétariat.
«Ça va être du beau ici quand surviendra la crise, et tout ce qu’on peut souhaiter, c’est qu’elle traîne encore quelque peu en longueur pour devenir un état chronique avec de brusque accès d’explosion comme en 1837-42» (idem).
Le parti enfin rétablira le lien que la contre-révolution a rompu avec les masses, lui permettant, au travers de longues années, suivant une courbe qui ne sera pas seulement ascendante, mais connaîtra aussi des reculs, après un long travail d’agitation, d’organisation et de propagande, de les préparer pour l’assaut final contre la bourgeoisie.

Il serait vain de croire qu’au cours de la crise le prolétariat va surgir armé de pied en cap, tel un seul homme, prêt à renverser la bourgeoisie. De telles illusions ressortent d’une conception spontanéiste et anarchiste que nous n’avons pas. En effet la préparation subjective du prolétariat à la prise du pouvoir requiert des années d’intervention du parti en vue d’en conquérir de larges strates.

Toutefois, la crise économique, par les grèves et les émeutes qu’elle provoquera, pourrait bien créer les conditions d’une répétition générale de la révolution, tout comme 1905 fut la répétition de la Révolution de 1917.

Durant la période de reprise économique qui suivra la crise et précédera la troisième guerre mondiale, la lutte économique et l’organisation syndicale sera alors d’une grande importance. Avec la reprise économique, le rapport de force sur le "terrain" des luttes économiques sera en effet favorable au prolétariat. Le parti cherchera alors à systématiser et à organiser les organisations syndicales de classe qui auront antérieurement surgi, ou qui surgiront, en cherchant à en prendre la direction.

Dans un délai qu’il est impossible de déterminer, se présentera l’inéluctable échéance de la 3ème guerre mondiale. A la différence du 4 août 1914, il s’agira pour le prolétariat de saisir la grande occasion historique qui lui sera offerte, de se dresser, non pour arrêter la guerre avec la paix, mais pour renverser par la force des armes la bourgeoisie, en transformant, suivant les paroles de Lénine, la guerre impérialiste en guerre civile. Ou passera la guerre, Ou passera la Révolution!

«(...) et la question est de savoir s’il se présentera dans l’avenir une crise mondiale ayant la même ampleur que celle d’alors (c’est-à-dire celle de 1929-1932). Notre réponse dérive de notre fidélité à la tradition et à la doctrine marxiste, et va dans le sens qu’une telle crise viendra, et qu’elle précédera de beaucoup une troisième guerre mondiale et posera avant l’éventualité d’une reprise internationale de la lutte de classe et de la possible guerre sociale, seule alternative à la catastrophe du conflit impérialiste.
«Si les prodromes d’aujourd’hui ne sont pas encore ceux d’une grande crise, ils démontrent toutefois le caractère fallacieux de toutes les écoles du bien être, et démontrent la thèse marxiste classique, qu’en économie mercantile, toute élévation de la production, qui seule permet une légère augmentation du niveau de vie moyen, et simule un nivellement socia1, ne fait que préparer l’inversion du processus et la vraie et proprement dite crise.
«La vraie et grande crise, qui se présentera historiquement entre la deuxième et la troisième guerre mondiale, sera, plus encore que celle entre la première et la seconde guerre, internationale; en est une preuve la collaboration de l’État russe aux "mesures anticrises"; collaboration qui culminant dans la thérapie de l’extension du commerce mondiale, prouve au contraire, même avec sa seule présentation idéologique, avec une force dialectique, que la prochaine authentique crise de surproduction, frappera en même temps toutes les monstrueuses machines productives du monde. Ce sera la crise de la folie super productive qui réunit l’Amérique et la Russie dans la compétition émulative, tant vantée par eux.
«Et cette crise mettra le monde à la veille d’une troisième guerre mondiale, sinon à celle de la révolution, dont l’une des conditions est le développement, réclamant des décennies, d’un parti dont le programme sera destructeur du "mythe productif" et de celui de la "consommation", liés entre eux au "mythe mercantile"» ("Le cours du capitalisme mondial dans l’expérience de la doctrine marxiste", Il Programma Comunista, n°9, 1958).

 

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Lettre d’Engels à Auguste Bebel (à Berlin)

LONDRES, 24 JANVIER 1893.

(...)
«Je suis très curieux de voir le sténogramme du discours de Singer sur la Bourse. En le lisant sur le Vorwärts j’en ai eu une très bonne impression. Sur cet argument il y a pourtant un point que les notres ont toujours l’habitude de laisser de côté: la Bourse est une institution où les bourgeois n’exploitent pas les ouvriers, mais où ils se volent les uns les autres; la plus-value qui à la Bourse change de main, est une plus-value déjà existante, produite d’une exploitation passée des ouvriers, c’est seulement quand cette exploitation est portée à son terme, que la plus-value peut servir aux escroqueries de la Bourse. La Bourse nous interresse seulement indirectement, dans la mesure où son influence, sa répercussion sur l’exploitation des ouvriers est indirecte et a lieu par voies de traverses. Prétendre que les ouvriers s’y intéressent directement, et qu’ils doivent s’indigner du dépouillement auquel sont soumis à la Bourse les Junkers, les industriels et les petits bourgeois, revient à prétendre que les ouvriers doivent prendre les armes pour défendre leurs exploiteurs directs dans la possession de la plus-value qu’ils leurs ont antérieurement extorquée. Mille mercis. Mais comme le fruit le plus exquis de la société bourgeoise, comme foyer de la corruption la plus extrême, comme serre du scandale de Panama et de bien d’autres scandales – et donc aussi comme moyen excellent pour la concentration des capitaux, pour la désagrégation et la dissolution des derniers résidus de cohésion naturels dans la société bourgeoise, et contemporainement, pour l’anéantissement et le renversement en leurs contraires de tous les concepts moraux usuels – comme élément de destruction le plus incomparable, comme la plus puissante accélératrice de la révolution, en ce sens historique, alors oui la Bourse nous intéresse directement».
(...)

[Traduit de l’édition italienne des Oeuvres Complètes de Marx-Engels, Ed. Riuniti]