Parti Communiste International
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ALGERIE, HIER ET AUJOURD’HUI

(«à suivre - Sommaire - à suivre»)








IV. LE STALINISME A L’ALGERIENNE
       OU LA DICTATURE ANTIPROLETARIENNE
       (1962-1978)
 
 

En 1962, l’Algérie est "indépendante" après 8 années de heurts et de représailles féroces qui opposèrent 160.000 militants du FLN et les prolétaires algériens à 550.000 militaires français. La population algérienne se réduit alors à 10 millions d’habitants. Elle compte en 1963 2 millions de chômeurs et 2.600.000 sans ressources. Des troubles s’étaient produits avec des révoltes paysannes dans le Constantinois, le développement du banditisme, des manifestations dans les villes. Et le principal atout économique de l’Algérie reposait sur l’exploitation du pétrole et du gaz.
 
 
 

1. 1962-1965 LE REGNE DE BOUMEDIENE-BEN BELLA
 

A. La Réforme Agraire

L’EMG est au pouvoir avec Boumédiène et Ben Bella. Le FLN avec ses permanents et l’encadrement des organisations prolétariennes et de jeunesse lui donne une légitimité idéologique. Le premier gouvernement de Ben Bella dura de septembre 1962 à septembre 1963. Il fut consacré aux mesures démagogiques anticoloniales, à l’instauration des institutions politico-constitutionnelles de la République algérienne, et à d’ultimes luttes de clans.(35)

Le programme de mesures fut facilité par la "fuite" imprévue de la population française après l’échec des attentats de l’OAS, et par 1800 disparitions d’européens enlevés par des militants du FLN en 1962. L’exode de 90% des Français en quelques mois priva l’Algérie de techniciens, enseignants, fonctionnaires, éliminant la prépondérance des Français dans les secteurs économique, administratif et culturel, et évitant au nouveau gouvernement de faire ce travail. Une partie des biens mobiliers et immobiliers abandonnés (logements, petites entreprises industrielles) fut rapidement acquise à des prix de faveur par la nouvelle bourgeoisie algérienne.

La réforme agraire était attendue avec impatience par les masses paysannes. En 1954, les musulmans possédaient 68% de la terre cultivable, mais le % des terres utiles était très inférieur, la terre occupée par les colons étant la plus fertile et la plus rentabilisée. Les colons disposaient de 22.000 parcelles, soit une superficie de 2,7 millions d’ha. La concentration était maximale dans les terres les plus riches, à culture intensive (environ 600.000 ha) avec 90% de la propriété aux mains de 6835 propriétaires possédant des parcelles supérieures à 100 ha. La surface cultivée était évaluée à 10 millions d’ha dont 2,7 aux européens et 7,3 aux musulmans.

Le peuple de l’Aurès et de la Kabylie, le plus pauvre, s’était battu pour la terre. Les fellahs demandaient le fractionnement de la terre des colons, alors que l’agriculture algérienne exigeait en raison de l’irrigation une discipline collective.La mesure initiale de la réforme agraire fut l’ "opération labourage" lancée en octobre 1962 qui engagea toute la population paysanne à restaurer la culture des terres abandonnées: le succès ne fut pas spectaculaire mais permit à l’Algérie au printemps 63 d’avoir pour démarrer une récolte sans sacrifier les vignes.

Le 22-10-62, les transactions relatives aux propriétés vacantes furent interdites, et une ordonnance précisa les normes d’autogestion des propriétés réquisitionnées. Le gouvernement légalisa ainsi une tendance spontanée des paysans et des ouvriers agricoles qui avaient constitué des comités de gestion pour réaliser les tâches les plus urgentes pour les terres abandonnées. La loi de mars 63 et les décrets donnent définitivement la législation sur les biens vacants et l’autogestion des terres. La propriété des entreprises collectives organisées en coopérative de production était nationale (non "étatique"), confiant la gestion aux travailleurs. L’autogestion s’appuyait sur un système pyramidal: à la base, l’Assemblée générale des travailleurs nomme un conseil élargi au sein duquel sont élus les membres du Comité de gestion; à côté du président du Comité siège le directeur nommé par le gouvernement. L’autogestion comprenait aussi une distribution des bénéfices aux travailleurs comme moyen d’incitation à l’augmentation de la production. Mais le poids de la tutelle des vieilles "sociétés agricoles de prévoyance", organe technique, existant sous la colonisation, et responsable des crédits, entraîna, à cause de la maigre volonté politique des pouvoirs publics, un ralentissement productif et une autodéfense des intérêts des membres face au reste du monde paysan.

Au secteur autogéré furent soumis un million d’ha y compris les surfaces les plus fertiles (vignes, plantations d’agrumes). En mars 63, d’autres terres de colons furent expropriées (la nationalisation de la propriété de l’ex sénateur Bugeaud eut une signification symbolique). Et le 1er octobre 1963, Ben Bella annonça à la nation que pas un ha de terre algérienne n’appartenait à un propriétaire étranger! Belle consolation pour les paysans algériens qui pour la plupart n’avaient rien gagné au change!

La nationalisation des terres étrangères, facilitée par la fuite des colons, aboutit par conséquent à la création d’une catégorie de paysans privilégiés, et ne pouvait suffire à régler la faim des masses rurales. Il aurait fallu s’attaquer à la bourgeoise agraire algérienne. La "révolution agraire" s’arrêtait face aux intérêts des notables musulmans, de la grande propriété indigène; et les mesures démagogiques anticoloniales masquaient la non remise en question des rapports de classe. Ben Bella au congrès du FLN d’avril 1964 promit encore une fois de poursuivre la réforme agraire, mais les paroles s’envolèrent bien vite.

Le secteur nationalisé sous la responsabilité des comités de gestion couvrait 2,7 millions d’ha (soit l’équivalent des terres possédées par les colons avant 1962). Y vivaient 100.000 familles de paysans soit un million de ruraux privilégiés pour 7 à 8 millions de paysans déshérités! Belle réforme agraire! Ce secteur couvrait donc les terres les plus riches du pays, un tiers du total des terres cultivées mais 75% du produit agricole algérien et 60% des exportations. En 1968, le secteur autogéré couvrait 2,3 millions d’ha avec 1953 unités de travail, 180.000 paysans employés à titre permanent. La production équivalait à 60 % de la production agricole nationale, soit un recul en % par rapport à 1962. Le secteur autogéré limité à une fraction exiguë de la population agricole aggrava donc le dualisme entre le secteur moderne nationalisé et le secteur traditionnel soumis comme avant l’indépendance à un régime de survie! En effet, à la fin de 1963, à côté des 200.000 travailleurs du secteur autogéré, l’agriculture algérienne comptait 450.000 travailleurs saisonniers, 1 million de chômeurs sans terre ni travail, 450.000 paysans propriétaires de parcelles comprise entre 1 et 10 ha (au total 1.400.000 ha), 170.000 petits propriétaires de 10 à 50 ha (au total 3 190.000 ha), 25.000 gros propriétaires de plus de 50 ha (au total 2.800.000 ha).
 

B. L’industrialisation

Elle devait canaliser la moitié des fellah sans terre et le sous prolétariat des villes. Mais les mesures pour l’industrialisation furent insuffisantes et l’émigration des masses vers la France continua, à la grande joie de la bourgeoisie française. Les mesures sur les biens vacants et l’autogestion eurent une application modérée dans le secteur industriel. 450 entreprises pour 10.000 ouvriers entrèrent dans le secteur autogéré, mais le régime toucha peu au secteur industriel privé.

Par contre, les syndicats furent épurés, subordonnés au pouvoir de façon à mieux contrôler le prolétariat urbain (110 à 120.000 prolétaires).

La prudence de l’Etat algérien dans l’industrie s’explique par la nécessité de ne pas décourager le capital étranger. Le secteur industriel privé était presque totalement français, tandis que la bourgeoisie algérienne apparaissait dans le commerce. Ni les banques ni le commerce extérieur, instruments évidents de la dépendance algérienne vis-à-vis de la France, ne furent touchés par les nationalisations. La nationalisation des mines, le plus souvent à faible rendement, fut réalisée sous Ben Bella, tandis que la nationalisation des mines de fer plus importantes fut réalisée en 1966 sous Boumédiène. Vis-à-vis des hydrocarbures, ce fut le statu quo, même si l’accord de juillet 1965 favorisait une coparticipation de l’Algérie à l’exploitation de sa principale richesse naturelle. Quant à la politique vis à vis du Sahara, soit 84% du territoire national, elle fut presque inexistante.
 

C. Le gouvernement du parti unique

Après 1962, la machine d’Etat coloniale n’a pas été détruite. Le 28-8-1963, l’Assemblée constituante choisie par le FLN adopte une Constitution qui sera soumise à un référendum le 8 septembre. Le 15, Ben Bella est élu Président de la République. Il suspend la constitution trois semaines plus tard pour s’octroyer les pleins pouvoirs. Pour l’essentiel, la législation française sera reconduite jusqu’au 5-7-1975. En 1976, une nouvelle Constitution sera adoptée et une assemblée dont les membres sont toujours choisis par le FLN sera élue, qui légalisera à nouveau le pouvoir de l’armée. Les cadres de cette sinistre trinité armée-parti unique-Etat seront souvent interchangeables: ministres, dirigeants de sociétés nationales, responsables FLN, officiers. Le FLN, de restructuration en restructuration sera en fait une structure subordonnée à l’armée et qui légitimera l’armée et l’Etat. Dès 1965, les différents responsables du FLN seront tous des officiers de l’ALN des frontières (Belkacem, Kaïd Ahmed, Yahiaoui, Messadia). Avec des dizaines de milliers de permanents, il sera chargé avec l’aide des ses organisations syndicales et de jeunesse de contrôler "idéologiquement" les masses, qui jusqu’à la crise économique des années 70-80, accepteront "docilement" cet état de fait.

L’aspect institutionnel de l’Algérie benbelliste montre un pouvoir concentré au sommet du parti et du gouvernement. La Constitution fut l’élue le 29 septembre 1962 sur une liste bloquée désignée par le Bureau politique du FLN. Il s’agit plus d’un gouvernement de parti unique dont le pouvoir est assuré par l’armée: une prééminence du pouvoir exécutif et le rôle secondaire du parlement, siège de la soi-disant souveraineté populaire. La normalisation constitutionnelle de 1963 confirma la victoire des "externes" ou des citadins avec l’alliance entre Ben Bella et le commandant de l’armée des frontières, Houari Boumédiène sur les ceux de l’intérieur, ou les ruraux. La composition du cabinet formé par Ben Bella le 18-9-63 après l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution montre des hommes liés à Ben Bella et Boumédiène (nommé vice président du Conseil et ministre de la Défense), et un équilibre parti-armée. Rabah Bitat, dernier "chef historique" à n’avoir pas rompu avec Ben Bella, inclus dans la liste des ministres du futur cabinet, se démit quelques heures avant la constitution du nouveau gouvernement. Déjà en avril 63, M.Khider avait quitté le poste de secrétaire général du Bureau politique. Khider, contre Ben Bella et l’armée, était alors favorable à la réunion d’un congrès national du FLN avant l’adoption de la Constitution. Abbas, porte-voix de la bourgeoisie urbaine algérienne, président de l’Assemblée nationale, et tiède partisan du socialisme révolutionnaire même formel des nouveaux arrivants, ne tarda pas non plus à devenir gênant. Ait Ahmed n’avait pas caché son opposition à la nomination de Abbas comme président de l’Assemblée, lui niant le droit de conduire l’Algérie révolutionnaire. Abbas, hostile aux nationalisations et favorable au multipartisme, chercha à s’opposer évidemment à la main-mise du parti unique qui diminuait ainsi les prérogatives de l’Assemblée. Il démissionna en août 1963 et fut expulsé du FLN en tant que "porte-étendard de la coalition bourgeoise et du compromis"!

Certains groupes politiques tentèrent de s’organiser. En septembre 1962, naît le Parti de la Révolution socialiste ou PRS qui affirma s’inspirer du socialisme scientifique. Boudiaf (36), arrêté durant quelques mois en 1963, semble en avoir été l’instigateur. Il était surtout influent parmi les algériens émigrés en France. Le Front des Forces Socialistes ou FFS fondé en 1963 par Ait Ahmed est marqué par l’influence kabyle et appuyé par de nombreux combattants de la wilaya III. En septembre 1963, il appelle à la résistance armée contre le gouvernement. La tentative insurrectionnelle en Kabylie dura de septembre à octobre 1963. En février 64, le maquis fut relancé par Ait Ahmed. Le colonel Chaabani, protagoniste de la révolte, fut arrêté et exécuté en septembre 64 à Oran. Ait Ahmed fut arrêté en octobre, condamné à mort puis sa peine fut commuée par Ben Bella en prison à vie.

Ces partis concurrents du FLN et contraints à la clandestinité appelèrent à l’abstention pour les élections de 1963; le plus haut % d’abstention fut enregistré dans les circonscriptions kabyles (45%).

L’assimilation du PCA fut aisé. Très critiqué au congrès de la Soummam en 1956, le PCA fut dissous en novembre 1962, mais ses militants rejoignirent la ligne officielle du FLN aux élections de 1963.

L’UGTA fondée en février 1956 par des militants du FLN défendait "l’élite" ouvrière. Elle était composée de dirigeants revenus en Algérie en 1962, et qui eurent tout de suite des rapports difficiles avec le FLN. Le FLN finit par prendre en main l’UGTA, à manaux postes clés.

L’isolement du gouvernement de Ben Bella accentua sa dépendance vis-à-vis de l’armée qui garantissait sa défense contre les opposants. L’armée augmenta encore plus son prestige et sa force après la répression du maquis kabyle, s’opposant à toute "réconciliation" ou solution négociée. La guerre des frontières avec le Maroc à l’automne 1963 augmenta la ferveur patriotique et la force de l’armée. Le couple pouvoir civil et pouvoir militaire né dans l’insurrection de 1954 devait se perpétuer jusqu’à aujourd’hui. Car l’ennemi n’était pas la bourgeoisie algérienne rangée derrière Abbas, mais les masses paysannes, moteur de l’insurrection, et qui réclamaient la réalisation des promesses.
 

D. Le socialisme "à la Castro"

L’Algérie devint un des plus stricts alliés de l’URSS dans le tiers monde, le second pays africain après l’Egypte à être assisté matériellement et financièrement par Moscou. Quant à ses rapports avec la France, il était clair que le gouvernement français se servit des aides économiques établies par les accords d’Evian pour enchaîner la "révolution" algérienne dans des rapports de dépendance et pour continuer à faire du pays un producteur de matières premières (énergie et main d’

Les positions anti-impérialistes, la lutte au racisme blanc, le pan-africanisme, l’amitié avec Cuba, ne suffirent pas à masquer les insuffisances de la politique de Ben Bella. Les défections des chefs "historiques" et les rébellions du maquis de Kabylie, une des régions les plus déshéritées d’Algérie, montraient le détachement du régime Ben Bella-Boumédiène des masses.

La scolarisation de la moitié de la population contre 15% dans la période coloniale, la réhabilitation de la langue arabe ne furent pas une réussite. La quantité devait l’emporter sur la qualité. L’arabisation fut mise en venus du Proche Orient (issus pour la plupart du mouvement égyptien des Frères musulmans) ce qui contribua non seulement à une mauvaise arabisation (l’arabe enseigné ne correspondait pas à celui utilisé en Algérie), mais aussi à faire le lit de l’islamisme.
 

E. Ben Bella est ecarté

Lors de son congrès d’avril 1964, le FLN s’institua en parti unique. Tous les "chefs historiques" (hormis Belkacem Krim, Boussouf, Ben Tobbal, anciens du GPRA, qui acceptèrent l’offre) et les opposants au régime, invités, refusèrent d’y participer, dénonçant la dictature de Boumédiène-Ben Bella. Le congrès se tint à Alger avec 2000 délégués représentant 150.000 militants et 600.000 adhérents. C’est donc un franc succès pour Ben Bella qui va jusqu’à manifester une attitude plus réservée vis-à-vis de l’armée en la déclarant "au service du peuple" et aux "ordres du gouvernement"! Un important argument débattu au congrès est celui de la composante religieuse de la nation algérienne, la tendance traditionaliste opposée au "socialisme scientifique" se faisant sentir. Elle reçoit l’appui de l’armée.

Les tensions entre Ben Bella et Boumédiène ne devaient pas cesser de s’aggraver. Ben Bella se rapprocha en juin 1965 du FFS d’Aït Ahmed. L’annonce de la réconciliation fut rendue officielle le 15 juin, tandis que d’autres opposants comme Abderrahman Farès et Abbas se rapprochaient aussi. Quelques jours après, avant que ne se réunisse à Alger la conférence afro-asiatique qui devait faire de Ben Bella le héros du tiers monde, les militaires dirigés par Boumédiène intervinrent par crainte d’un remaniement gouvernemental dès lors inévitable. Le 19 juin 1965, Ben Bella fut arrêté et accusé de déviationnisme par rapport au programme de Tripoli, de culte de la personnalité responsable d’un système basé sur la corruption!

Aucune réaction ne fut enregistrée du côté de l’appareil benbelliste, le parti, les organisations de masse. Quelques manifestations populaires spontanées eurent lieu dans les grandes villes. Les plus grandes oppositions vinrent des syndicats et des jeunes. Le 20 juin, les heurts entre manifestants et police auraient provoqué quelques victimes. Puis à l’intérieur et à l’extérieur de l’Algérie vinrent les marques d’adhésion au nouveau régime. Ben Bella (37) emprisonné dans une localité inconnue, disparaissait littéralement de la scène, à cause, semble-t-il d’une bien timide ouverture vers les autres partis! Un conseil national de la révolution ou CNR présidé par H. Boumédiène qui assumait les pleins pouvoirs est créé. Le parlement était suspendu. Le CNR promettait de ne pas remettre en question l’institution de l’autogestion – symbole du socialisme algérien! – et insiste sur le développement des valeurs morales, et des traditions séculaires du peuple algérien, les militaires se portant ainsi garants de la pureté de l’islam contre le réformisme athé occidental! Sur 26 membres du CNR, 24 étaient des militaires. Toutes les forces militaires furent réunies: les commandants des régions militaires, les officiers de l’Etat major, les ex-colonels des wilayas, les officiers des services de sécurité, les officiers de l’ALN devenus des civils (ils formeront l’ossature du régime: Bouteflika, Cheref Belkacem, Medeghri, Mohammed Saïd). Mais les charges les plus importantes du cabinet revinrent aux hommes de l’extérieur (le groupe de Oudja) tandis que les ex-combattants de l’intérieur ne reçurent que des charges honorifiques. Le seul "chef historique" inclus est Rabah Bitat.

Un régime de dictature ouverte convenait mieux désormais pour protéger les intérêts de la bourgeoisie algérienne et la protéger des velléités des masses.
 
 
 

2. 1965-1978: L’ERE BOUMEDIENE -
    INDUSTRIALISATION LOURDE ET AGRICULTURE SACRIFIEE -
    NATIONALISATIONS.
 

F. La dictature militaire

Pour mieux tenir la situation sociale, Ben Bella a donc été écarté et l’armée a pris le pouvoir avec Boumédiène (38). Comme notre parti l’affirmait déjà dès 1962, il n’y aura pas de réforme agraire en Algérie sans révolution prolétarienne. Le chemin dans lequel s’engage à pas rapides la bourgeoisie algérienne est celle d’un capitalisme sauvage où les prolétaires des campagnes et des villes seront sacrifiés.

Le gouvernement Boumediène annonce son intention de remettre de l’ordre dans le pays et de lui donner une économie "moderne". La militarisation du pouvoir ne se limite pas au gouvernement ou à l’administration publique, mais aussi aux coopératives agricoles, aux conseils de gestion, et.. Cette organisation permet à la "caste" militaire de concentrer le pouvoir politique, militaire, économique entre ses mains, et de passer du "socialisme benbelliste" au "socialisme du capitalisme d’Etat" sur le modèle égyptien (dans un premier temps, le Caire avait durement condamné le coup d’Etat). Le clan bourgeois favorable au libéralisme économique et au multipartisme est définitivement écarté. Ait Ahmed réussit à s’évader en mai 1966 et à gagner l’étranger; Boudiaf s’installe au Maroc; M. Khider est assassiné en Espagne en janvier 67 dans des circonstances mystérieuses; B. Krim qui vit en France et a fondé en 1967 le Mouvement démocratique du Renouveau algérien est assassiné en 1970 à Frankfort.

Boumédiène, après juin 1967, ne convoquera plus le CNR car de nouvelles tensions se manifestent entre les partisans "centralistes" et autoritaires de la voie étatique, et ceux partisans d’une voie plus démocratique. Le Colonel Tahar Zbiri prend la tête en décembre 67 d’une sédition militaire qui se termine grâce à l’intervention des Migs soviétiques, en faveur du gouvernement. Zbiri s’enfuit avec ses compagnons dans le maquis des Aurès. Le 25 avril 68, H.Boumédiène échappe à un attentat. Il sera élu président de la République en 76.
 

G. Le capitalisme d’Etat et l’économie basée sur la rente pétrolière

L’organisation économique et sociale est fondée sur la prééminence de l’Etat et la rente pétrolière, véritable manne. C’est l’époque du "Socialisme à l’algérienne fondé sur la non-dépendance et l’économie autocentrée": nationalisations, évacuation des bases militaires françaises, révision des accords pétrolifères, échanges de plus en plus étroits avec l’URSS. De plus l’Algérie, en raison de ses richesses et de sa puissance régionale, aspire à prendre la tête du grand Maghreb uni face à la monarchie marocaine et à la Tunisie.

La grande aventure des hydrocarbures débute en Algérie en 1956 avec la découverte de premiers gisements sahariens. La 2ème guerre mondiale et la nécessité d’assurer son approvisionnement poussent la France à créer le Bureau de recherches pétrolières au Sahara avec la découverte du gisement de gaz de Berga, des gisements pétroliers d’Edjeleh, de la nappe d’or noir de Hassi Messaoud, du gisement gazier d’Hassi R’Mel et la réalisation de 2 oléoducs. En 1958, le gaz est exporté par méthanier vers la France. Une usine de liquéfaction est créée à Arzew en 1961 pour assurer les ventes à Gaz de France et British Methane. Les accords d’Evian de 1962 préservent les droits des sociétés concessionnaires. Dès 1963, l’Algérie entame une longue marche pour le contrôle des richesses du sous-sol.

De 1965 à 1977, Belaïd Abdesslam est le ministre de l’énergie avec la devise "Il faut semer du pétrole pour récolter de l’industrie" et parvenir ainsi à l’indépendance économique. A la tête de l’Office algérien des hydrocarbures après les accords d’Evian, il négocie avec les pays européens de l’Ouest comme de l’est et avec les USA. Il est l’homme des grandes nationalisations au ministère de l’industrie, crée de nombreuses entreprises d’Etat comme celle des hydrocarbures, la Sonatrach (société nationale pour les transport et la commercialisation des hydrocarbures crééé en 1964). Il privilégie les complexes sidérurgiques et pétrochimiques pharaoniques, tournant à 30% de leur capacité, aux dépens de l’industrie légère et de l’agriculture. Il sera écarté du pouvoir en 1978 après la mort de Boumédiène. Les étapes principales de sa politiques sont les suivantes:
- 1965, accord franco-algérien sur les hydrocarbures et le développement industriel; réduction de la dette algérienne et aide française pour 20 ans.
- 1966, nationalisation de sociétés minières étrangères.
- 1968, nationalisation de 79 sociétés industrielles privées, la plupart françaises.
- 1970, début du conflit pétrolier avec la France.
- 1971, le gouvernement algérien nationalise les intérêts étrangers à l’époque exclusivement français dans le secteur pétrolier: nationalisation des oléoducs, du gaz naturel et de 51% des avoirs des sociétés pétrolières françaises.

Le résultat de la politique algérienne de 62 à 78 est résumé dans le Monde diplomatique "Une économie de guerre" d’août 1992 qui commentait alors le rappel en 92 du ministre "intègre" de Boumédiène, B. Abdesslam, acteur de la politique économique des années 70. «L’Algérie a, en effet, hérité de l’ancien pacte colonial une spécialisation économique fondée sur l’exportation de produits primaires en échange de biens manufacturés. En 1964, par exemple (deux années après l’indépendance), matières premières et produits agricoles représentaient 98,5% des exportations totales. Les seules matières premières représentaient, à cette même date, 59,4% des exportations, et la part des hydrocarbures, dans les matières premières, atteignait 90,6%...Du côté des importations, la part des produits manufacturés (équipement et consommation) s’élevait, toujours en 1964, à 76% des importations; et parmi ces produits manufacturés, les biens de consommation représentaient, à eux seuls, 60,5% du total. Trente années après, l’économie continue de reposer sur l’exportation des seules matières premières, réduites pratiquement aux hydrocarbures, et à l’importation massive... de produits alimentaires. En 1989, la part des hydrocarbures dans le total des exportations atteignait 96% (contre 12% en 1961) tandis que la part des produits alimentaires (et manufacturés) dans le total des importations s’élevait, la même année, à 91% (contre 94% en 1961). Cette division du travail, héritée de la colonisation, n’a pas été, on le voit, remise en cause. Une situation dramatique qui transforme l’Algérie en un pays quasiment mono-exportateur, avec toutes les conséquences que cela comporte. Cette situation résulte, en premier lieu, de la stratégie d’industrialisation à marche forcée adoptée par Alger durant les années Boumediène (1965-1979), et mise en à l’époque, précisément par M. Belaïd Abdessslam». D’autre part, au cours des années 1970, la grande corruption puise sa source dans l’économie de rente fondée sur les exportations d’hydrocarbures et les grands contrats d’industrialisation. Des proches du président de la République sont chargés, de concert avec la Sécurité militaire (la police politique), de gérer les commissions occultes sur les grands contrats et d’en assurer la redistribution au sein du système, favorisant l’apparition d’une nomenklatura, la clientèle du régime. Comme l’Algérie ne parvient pas à assurer une production suffisante de biens de consommation, les autorités recourent massivement aux importations (café, sucre, médicaments) qui donnent lieu au versement de pots-de-vin.

Ce programme d’industrialisation à marche forcée des années 65-79, basé sur le coût élevé du pétrole qui en 1979 payait 40 dollars le baril, et sur le haut taux de change de la monnaie américaine, comprenait des projets d’industrialisation lourde, souvent surdimensionnés, pharaoniques, et peu créateurs d’emplois. Et comme nous l’écrivions en décembre 88 dans notre organe italien. «Tout le parc industriel – sidérurgie, raffineries, cimenteries, constructions mécaniques – , tout, bien entendu, acheté à l’extérieur et souvent à crédit, se révèle bien vite peu rémunérateur, en considérant aussi les coûts de gestion et de fonctionnement du fait que ces usines dépendent de l’importation continue de pièces de rechange, de techniciens en mesure de les faire fonctionner, etc».
 

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NOTES
 

(35)  Cf. La rivoluzione algerina de Novati

(36) En 1964, Boudiaf dans un ouvrage écrivait: «Sans réforme agraire radicale appuyée sur une planification rigoureuse de toute notre économie, sans le passage de tous les moyens de production dans les mains des travailleurs, sans la mobilisation des masses, sans un contrôle sévère du commerce extérieur et du mouvement des capitaux, sans la création d’un marché interne contrôlé dans tous ses circuits, sans la sélection des investissements extérieurs, il n’y a pas de socialisme».

(37) La gauche benbelliste et certains staliniens s’organisèrent le 28 juillet 1965 en l’Organisation de la résistance populaire, mais ils furent rapidement emprisonnés. Ben Bella sera libéré en 1980, et réapparaîtra sur la scène politique en 1990.

(38) Boumédiène utilisera toutes les ressources dont il dispose pour se prémunir contre un coup d’Etat. C’est ainsi qu’il confie la puissante Sécurité Militaire (police politique au dessus des lois, crainte aussi bien par l’armée que par les civils) à des officiers originaires de la Kabylie et de l’Extrême Ouest du pays, et ce pour faire contrepoids à la hiérarchie militaire composée essentiellement d’hommes originaires de l’est algérien. Tous les réseaux clientélistes remontent à lui, faisant croire aux uns et aux autres qu’il est leur homme. Ainsi il est l’homme de l’armée, l’homme du parti, l’homme de l’administration, etc.. Tous se reconnaissent en lui et se réclament de lui, mais, en son absence, ils s’entre-déchirent (Le Monde diplomatique d’août 91).