Parti Communiste International
Les centrales syndicales françaises et la collaboration de classe sous les feux des projecteurs

Avril 2012
La campagne présidentielle bat son plein en France, et pour ne pas parler de programmes ou des plans d’austérité à venir, tout est bon pour "amuser" la galerie des électeurs. Avec la macabre affaire de la tuerie de Toulouse dont nous ne connaissons pas encore tous les tenants et aboutissants, la sécurité du "peuple" français est mise en avant et avec elle le renforcement du communautarisme. Voici maintenant le financement des centrales syndicales qui est jetée dans l’arène. Le scandale dénoncé est que non seulement les syndicats français ne s’appuient que sur un petit pourcentage de salariés syndiqués, mais leur fonctionnement coûte cher aux finances publiques pour une utilisation des subsides qui par son manque de transparence en devient donc suspecte. En ces temps de vaches maigres, il va falloir que eux aussi rendent des comptes et se préparent à dégraisser.
 

Le rapport Perruchot ou comment le paritarisme n’est plus à la mode !

Mais le "scandale" du financement des syndicats n’est pas nouveau pour la classe dirigeante française. Depuis le début des années 2000 une série d’études officielles ont été diligentées, des réunions avec les centrales syndicales se sont succédées; la question a été retournée dans tous les sens, d’innombrables ouvrages et rapports publiés, et de nombreux textes de loi votés afin de mieux contrôler les centrales, comme celui du 20/08/2008 qui assoit la représentativité syndicale sur l’audience électorale, prévoit une clarification des comptes (ils doivent faire certifier leurs comptes à partir de 2011), et confère la capacité à négocier uniquement aux syndicats ayant atteint 10% des voix aux élections professionnelles (ce qui conduit les syndicats de taille trop modeste à des alliances ou à des fusions).

Une étude d’administration comparée sur le financement des syndicats (Allemagne, Belgique, Grande Bretagne, Italie, Suède) en octobre 2004 réalisée par l’IGAS (Créée en 1967, l’Inspection Générale des Affaires Sociales est chargée de l’ensemble des questions relatives aux affaires sociales, à la santé, à la protection sociale, à l’emploi, au travail, à la formation professionnelle, bref à la "modernisation" de l’État) était diligentée par le ministre délégué aux relations du travail.

Le rapport de Mr Habas-Lebel du Conseil d’État, qui faisait la lumière sur la représentativité et le financement des organisations professionnelles et syndicales en France, était remis au premier ministre de l’époque, Dominique Villepin, en 2006. Et enfin le rapport Perruchot qui fait aujourd’hui tant de bruit! Il est le fait d’une commission d’enquête parlementaire dont le rapporteur est le député Nouveau Centre, Nicolas Perruchot, proche de Nicolas Sarkosy. Ce rapport présenté en 2010 a été rejeté comme non publiable (c’est une première pour les rapports des commissions parlementaires) par une commission de 30 membres dont 9 seulement ont voté: 2 centristes pour, 3 socialistes contre, 4 UMP s’abstenant. En effet, à la veille des élections présidentielles et ensuite législatives, il s’agissait de ne pas trop chatouiller les centrales syndicales. Mr Sarkosy en a jugé différemment. Le journal de droite Le Point le publie "illégalement" en février 2012 au lendemain de la déclaration de Nicolas Sarkosy d’entrée en campagne, déclaration où il désignait les syndicats comme des "obstacles" aux réformes. Il s’en est pris très violemment, sans évoquer directement le paritarisme, à «la puissance des corps intermédiaires» qui empêchent les réformes, «confisquent la parole des Français» et «n’aiment rien tant que l’immobilisme. Il s’agit en effet pour le candidat Sarkosy d’essayer de recruter parmi les « classes populaires»; et il s’adresse à elles sans passer par leurs "représentants" légaux, mais au contraire en dénonçant les organisations destinées à les défendre. La guerre est déclarée puisque fin mars, la CGT appelle à voter contre le président sortant, alors que la centrale s’abstient depuis 1988 de donner des consignes.

Dès l’introduction du rapport Perruchot, le ton est donné: le rapport promet d’afficher plus de transparence «à l’heure où l’on veut donner plus de rôle au dialogue social» – le dialogue social: vaste foutaise où l’on ne cherche qu’à berner les prolétaires – et «analyser l’enjeu proprement financier, consistant à apprécier dans quelle mesure les subventions et l’argent public alloués aux organisations syndicales et professionnelles sont vitaux pour leur fonctionnement, le niveau des réserves et des actifs patrimoniaux de certaines pouvant interpeller à plus d’un titre».

Le constat se veut sévère pour le syndicalisme français. La crise des effectifs est appréciée à travers le taux de syndicalisation dont le calcul n’est d’ailleurs pas très clair, car les organisations syndicales donnent des chiffres d’adhérents nettement supérieur au calcul réalisé par l’INSEE ou par l’OCDE. Le taux de syndicalisation n’est pas quelque chose de normalisé: suivant les pays on rapporte le nombre de syndiqués au nombre total de salariés ou à la population active totale. Les syndiqués peuvent en outre comprendre des chômeurs (ce qui devrait toujours être le cas), mais aussi des retraités. D’après ce rapport le taux de syndicalisation pour la France serait de 8% de syndiqués parmi les salariés actifs, ce qui en 2003 donnait 1 845 000 adhérents et en 2008, la France comptant alors 23 966 000 salariés, 1 917 000. Ce taux de 8% varie de 5% dans le privé (7,5% dans l’industrie, 2,5% dans le commerce) à 15% dans le public. Les cadres et les professions intellectuelles adhèrent trois fois plus souvent (14,5% des cadres sont syndiqués) que les ouvriers (6,1% des ouvriers sont syndiqués). La crise d’audience est appréciée à travers le taux de participation des salariés lors des élections prudhommales (les Prudhommes sont les tribunaux dans lesquels sont jugés les conflits entre un employeur et un salarié, les juges étant pour moitié des représentants des employeurs, et pour moitié des représentants élus des salariés) qui est passé de 63% en 1979 à 25% en 2008, tandis que les élections des comités d’entreprise font un meilleur score (64%) mais le nombre de représentants non syndiqués y augmente significativement. Et enfin la crise du renouvellement des militants avec le vieillissement des adhérents fait craindre la pénurie des représentants syndicaux. Le système paritaire (association patronat-syndicats de salariés), base des conventions collectives et de la collaboration de classe, pourrait manquer de main d’œuvre. Selon une étude de 2006 de deux chercheurs en science politique (Andolfatto et Labbé), sur les 600 000 adhérents de la CGT, 1300 étaient des permanents, 120 000 étaient des élus ou mandatés, et 150 000 des anciens élus et mandatés: s’il n’y a pas de relève, les syndicats risquent de ne plus être présents dans un grand nombre d’entreprises et de recruter encore moins, s’inquiète le rapporteur.

Les principales organisations françaises sont par ordre d’importance numérique, la CFDT (née en 1964, qui annonce en 2006, 803 000 membres), la CGT (née en 1895, qui est passé de 2 millions d’adhérents en 1970 à 720 000 en 2006), l’UNSA (360 000 adhérents), la CFE-CGC (moins de 140 000 adhérents), la CGT-FO (née en 1948, moins de 300 000 adhérents), la CFTC (confédération française des travailleurs chrétiens annonce 140 000 membres en 2006), l’USS (Solidaires – qui inclut SUD qui provient d’une scission de la CFDT en 1989 – a moins de 90 000 adhérents). Si l’on additionne les adhérents revendiqués par les grandes confédérations avec les syndicats autonomes comme l’UNSA, FSU, la CNT (anarcho syndicalistes soit environ 4000 membres surtout des étudiants), on obtient un nombre total de syndiqués en France de 3,2 millions alors que l’INSEE n’en compte que 1,8 millions!

Paradoxalement avec la crise, depuis 1979, loin d’assister à une augmentation des effectifs syndicaux, on constate une diminution drastique du nombre d’adhérents et une perte d’influence des syndicats. Les rapporteurs pour expliquer ce phénomène mettent en avant les effets de la désindustrialisation. En réalité la cause principale se trouve dans l’impuissance de ces syndicats de collaboration de classe qui lors de chaque lutte décisive, comme celles dans la métallurgie en 79 et en 84, ont conduit la classe ouvrière de défaite en défaite. Lorsqu’une entreprise se trouve menacée de liquidation, ou risque de subir une sévère restructuration, loin de chercher à étendre la lutte aux entreprises voisines ou de la même branche, voire de l’étendre au niveau national, lorsqu’il s’agit de grandes entreprises ou de secteurs clefs, ces syndicats au contraire circonscrivent la lutte dans l’entreprise condamnée, conduisant ainsi à la défaite et à la démoralisation les ouvriers. En faisant semblant d’organiser le prolétariat, ces syndicats de traîtres empêchent le prolétariat de s’organiser sur une grande échelle et de mener une véritable bataille de classe contre la bourgeoisie. L’effondrement de leur influence n’a donc rien d’étonnant et est au contraire indispensable pour la reprise de la lutte de classe et l’organisation du prolétariat dans de vrais syndicats de classe.

Jusqu’à aujourd’hui, le paritarisme pour la bourgeoisie est un élément clé du "dialogue social". Il constitue un système de gestion paritaire consistant en la cogestion d’un organisme par un nombre égal de représentants des employés et des employeurs. Le paritarisme est introduit pour la première fois en France par la loi du 19 octobre 1946 portant sur le statut de la fonction publique, et la mise en place des instances paritaires de concertation. Ses commissions sont consultatives et non décisionnelles, mais elles permettent d’introduire les organisations syndicales aux différents échelons de l’administration. Auparavant, les structures administratives étaient gérées par les seuls supérieurs hiérarchiques.

Avec la Sécurité sociale, alors que la gestion était confiée aux représentants élus des assurés depuis la création de l’institution en 1945, l’ordonnance Jeanneney du 21 août 1967 partage ce rôle avec les représentants du patronat, dont les contributions financières sont de loin les plus importantes. En pratique, les représentants des employés sont souvent issus des syndicats considérés comme représentatifs. Les financements dits du "paritarisme" ont pour caractéristique de bénéficier symétriquement et à parité (sauf exceptions) aux organisations d’employeurs et de salariés. En Allemagne, la cogestion a été instituée en 1951 dans les industries minières, en 1952 dans l’ensemble des entreprises privées. La cogestion est considérée comme un pilier de l’économie sociale de marché allemande. Elle repose notamment sur l’existence de syndicats de salariés puissants.

Les institutions paritaires sont donc gérées par des commissions paritaires, et leurs caisses sont alimentées par les cotisations des salariés et les cotisations patronales, ces dernières faisant en réalité partie du salaire. Les plus importantes sont les branches de la Sécurité sociale (assurance maladie CNAM, famille CNAF, vieillesse CNAV et les accidents de travail et maladies professionnelles), les organismes de retraites complémentaires ARRCO et ARGIC, les institutions paritaires de prévoyance, l’assurance chômage UNEDIC créée en 1958, l’association pour l’emploi des cadres APEC, la formation professionnelle et continue, les organisme du 1% logement et les tribunaux des prud’hommes. L’État veut intervenir désormais plus directement dans leur gestion, les décisions les plus importantes ayant toujours été de son ressort; il semble bien clair à tous que la bourgeoisie veut désormais pouvoir ponctionner sans restriction les caisses de ces organismes et utiliser l’argent à d’autres fins. La fusion entre l’UNEDIC organisé paritairement et l’ANPE (institution publique) qui a créé Pôle Emploi en est une illustration désastreuse pour l’établissement de dossiers et le paiement des indemnités chômages. Pour le 1% logement, la chose est très claire; créé en 1953, le 1% logement a géré en 2007 un total de 3,8 milliards d’euros, dont 1,5 de collecte auprès des entreprises de plus de 20 salariés et 1,9 de remboursements de prêts aux salariés accédant à la propriété. Le 1% logement, dénommé ainsi en référence à une cotisation de 1% sur la masse salariale, est devenu en réalité un 0,45%. Lors de la négociation d’octobre 2008 avec la ministre du Logement, cette dernière a imposé que la présidence de l’organisme soit dorénavant assurée en permanence par le patronat. La ministre a également imposé une ponction de 850 millions d’euros pour l’affecter à divers organismes liés à la politique de l’habitat et financés habituellement par le budget. Ce n’est qu’un début! Nous savons qu’après plusieurs séances de négociation, les partenaires sociaux (syndicats de salariés et des patrons) ont conclu, le 17 février 2012, un projet d’accord sur la "modernisation" du paritarisme qui porte sur l’Unédic, l’Apec (qui gère l’emploi des cadres), l’Agirc et l’Arrco. Ces organismes paritaires nationaux et interprofessionnels de gestion, dans lesquels les partenaires sociaux ont une capacité de gestion autonome, sont particulièrement visés. Ce texte devrait être signé par l’ensemble des syndicats, à l’exception de la CFE-CGC qui a d’ores et déjà refusé de le parapher. La CGT ne s’est toutefois pas encore définitivement prononcée. Les concessions des organisations syndicales semblent pour le moment inavouables!

La plupart des autres pays européens connaissent plutôt un fonctionnement tripartite (État-patronat-syndicat) où prédomine l’action de négociation sur celle de la grève. La culture syndicale française est marquée par la grève et le conflit comme moyen de pression pour faire avancer les négociations. La CFDT est montrée comme un bel exemple d’évolution, puisque depuis les années 1980, elle a pris modèle sur les organisations plus conciliatrices et plus sages des pays avoisinants! Quoiqu’il en soit, le problème n’est pas là car nous savons bien que derrière le tumulte des pseudo grèves de quelques heures, des manifestations orchestrées, ou lors de mouvements généreux de travailleurs en lutte, les centrales syndicales s’arrangent depuis des décennies, dans la négociation, la collaboration, la gestion "raisonnable" de l’économie, main dans la main avec le patronat et l’État, et évidemment sur le dos des travailleurs. Nous avons dénoncé tant de fois la traîtrise de ces organisations dont la reconquête est désormais impossible, tant elles sont imbriquées dans les rouages bourgeois et de ce fait notre parti affirme encore une fois avec force que la seule issue pour le prolétariat est de les combattre et d’en reconstruire de nouvelles. Mais voyons de plus près les faits accusateurs et ce qu’ils cachent en réalité.
 

Les organisations syndicales à la française

La France tient deux sortes de record: un taux de syndicalisation très bas, et un très grand nombre d’organisations syndicales. Et de plus les organisations syndicales sont principalement financées, non par les cotisations, mais par l’État, les employeurs, et les organismes paritaires qui assurent une gestion autonome des cotisations des salariés et du patronat, et possèdent de ce fait des fonds de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Mais si la France est l’un des pays industrialisés qui a le plus faible taux de syndicalisation, elle a dans le même temps un des taux de couverture conventionnelle le plus élevé: 90% des salariés sont couverts par une convention collective (il en est ainsi d’ailleurs en Espagne et aux Pays Bas qui ont une situation syndicale comparable à la France), et les organisations syndicales négocient des avancées pour l’ensemble des salariés et non pour leurs adhérents, comme cela se passe en Suède où le taux de syndicalisation est le plus élevé des pays industrialisés. Le système du paritarisme avec des participations aux conseils d’administration, aux commissions, etc... demande aussi qu’un nombre important de militants soient des permanents dont les salaires sont payés par l’entreprise ou l’État.

D’autre part, ce faible taux de syndicalisation en France n’a pas empêché le mouvement social de décembre 1995 qui a vu pour la première fois l’apparition d’une organisation, la coordination des cheminots, née en dehors des syndicats officiels. Bien qu’elle dirigeait effectivement la grève en lieu et place de ces derniers, elle laissait encore les syndicats officiels mener les négociations en son nom. Ce puissant mouvement indiquait que la capacité de mobilisation du syndicalisme était alors importante, même si les grèves se concentrent désormais dans le secteur public. Il faut tout de même ajouter que contrairement aux mouvements historiques précédents (1936, 1944, 1968), celui de 1995 ne s’est pas traduit par une vague générale de syndicalisation, les centrales syndicales ayant une fois de trop trahis les travailleurs.

Le rapport Hadas Lebel de 2006 détaille très consciencieusement le financement des syndicats français.

La désyndicalisation qui touche la France depuis le début des années 1980 a fait chuter le pourcentage de syndiqués sous la barre des 8% du total des salariés: 7,6% en 2008 alors qu’il était de 19,6% en 1960. Les cotisations n’interviennent donc que pour une part minoritaire dans le financement des syndicats. En comparaison, on estime à environ 80% la part des cotisations dans les ressources des syndicats en Europe du Nord, où le taux de syndicalisation est resté très élevé. Paradoxalement, la France est en revanche le pays d’Europe qui compte le plus grand nombre de permanents syndicaux par rapport au nombre de syndiqués; cette disproportion a conduit certains auteurs à souligner la part d’autant plus importante des financements opaques induits par le coût de fonctionnement de ce personnel syndical.

Les subventions publiques étaient estimées en 2000 à "au moins 600 M de francs" (91,6 M€). Ces subventions publiques visent à financer certaines activités syndicales. Ainsi, la formation des élus du prud’hommes, ou la formation syndicale qui en 2000 représentait 213 millions de francs (32,47 millions d’euros).

Les collectivités locales peuvent également allouer une subvention directe aux unions locales de syndicats ou mettre des locaux gracieusement à disposition, généralement il s’agit des bourses du Travail, élément historique des origines du syndicalisme français. Néanmoins, de nombreux procès contre des élus locaux, au cours de la décennie 1995-2007, ont conduit à renforcer la surveillance de ces soutiens qui, dans certains cas, donnent lieu à des dérives (emplois fictifs, abus de biens sociaux...).

Les entreprises peuvent également contribuer financièrement à l’activité syndicale. Ces subventions au titre de l’exercice du droit syndical sont souvent égalitaires entre syndicats représentatifs, elles sont parfois proportionnelles aux résultats électoraux ou en fonction de l’expression des salariés. Les assurances Axa ont ainsi instauré en 1990 un "bon de financement syndical" que chaque salarié peut donner au syndicat de son choix. Le groupe Casino, La Poste ou France Télécom distribuent également des subventions directes. Des dotations financières sont versées au titre de la gestion des organismes paritaires (Sécurité sociale, Unédic) ainsi qu’une part prise sur les fonds récoltés pour la formation professionnelle (40 millions € par an, répartis à parts égales entre patronat et syndicats). Enfin certaines entreprises financent à partir de "caisses noires" les syndicats de l’entreprise, ce mode de financement des syndicats par le patronat serait vieux comme la loi Waldeck-Rousseau (loi de 1884 qui autorisait les syndicats), selon les dires d’un ancien patron du syndicat des employeurs, le Medef. Cette loi affirmait: «Les syndicats professionnels de patrons ou d’ouvriers pourront, sans autorisation (...) constituer des caisses spéciales de secours mutuel». Certains syndicats sont également accusés d’avoir eu recours à des financements occultes, notamment en utilisant les fonds de comité d’entreprise, en particulier la CGT avec le comité d’entreprise d’EDF. Au début des années 2000, cette polémique a pris un tour judiciaire, d’une part avec la révocation du Directeur Général du CE d’EDF, qui avait évoqué des irrégularités lourdes et des dysfonctionnements, et, d’autre part, par le dépôt d’une plainte au nom des agents. Bernard Thibault, secrétaire général de la CGT, a été entendu par la justice en juillet 2006 dans le cadre de cette affaire et une enquête judiciaire a été ouverte pour abus de confiance, escroquerie, faux et usage de faux et abus de biens sociaux. Par ailleurs, la Cour des comptes dans son rapport présenté le 4 avril 2007 a émis un certain nombre de critiques, à l’encontre de la qualité de la gestion du comité d’entreprise et de son efficacité.

Et le rapport de 2006 de conclure qu’en raison du faible montant des cotisations, découlant du nombre peu important d’adhérents, l’importance du financement externe expose les centrales syndicales françaises à des critiques de plus en plus fréquemment amplifiées par les médias. Pour ce rapport les facteurs de désyndicalisation, qui touchent pratiquement tous les pays industrialisés, sont le fait du déclin du secteur industriel, de la crise d’emploi, du développement des PME où la présence syndicale est faible, et pour des pays comme la France où le syndicalisme est le fait de militants, de la méfiance grandissante des travailleurs pour des syndicats traîtres. L’adhésion à un syndicat ne donne ni droits, ni avantages, ni intérêts: les adhérents sont des militants et non des cotisants. Un syndicalisme politique plutôt qu’un syndicalisme de services, dit le rapport Perruchot. Nous dirons que la description est romantique, mais pas toujours véridique, car dans les grandes entreprises, le syndicaliste est parfois mieux "protégé" que le travailleur! D’autre part le déclin du syndicalisme, dans tous les grands pays industrialisés, est dû avant tout, comme nous l’avons déjà dit plus haut, à l’impuissance des ces organisations serviles.
 
 

Cotisations reçues en 2003 par syndicat
selon le rapport Hadas-Lebel
complété avec le rapport Perruchot de 2010
Syndicat Cotisations Part dans le budget
de la Confèdération
Estimation de la part
versée par l’État ou
les entreprises *
CGT 75M€   34% (34,4% en 2010) 145,6M€ 
FO 35M€   57% 26,4M€ 
CFDT 69M€   50% (40,1% en 2010) 69M€ 
CFTC 12M€   20% (14,5% en 2010) 48M€ 
CGC n.d.  40% (31,4% en 2010) -
  Total 191M€ 
289M€ 

Tableau 1: * Estimation réalisé par nous sur la base des chiffres fournis. (n.d = non déterminé).
 

Les organisations syndicales des pays "modèles"

Voyons maintenant ce qui se passe chez certains de nos voisins qui sont donc cités en exemple aux vilains petits canards français et que décrit le Rapport de l’IGAS de 2004.

La Belgique et la Suède se caractérisent par des taux de syndicalisation à la fois très élevés, respectivement de 65% et 83%, et stables depuis les années 1970. Grâce à cette forte représentativité, les trois confédérations qui dominent le paysage syndical dans chacun des deux pays disposent d’une légitimité incontestable. Elles sont des acteurs incontournables dans des systèmes de négociation collective développés.

En Allemagne et en Italie, les taux de syndicalisation sont plus modestes, de l’ordre de 30%, mais les syndicats demeurent puissants dans les secteurs où ils sont représentés. Les conventions collectives sectorielles régulent une large partie des relations entre les employeurs et les salariés. Cependant, en Allemagne, les syndicats sont fragilisés depuis quelques années par l’érosion du nombre de leurs adhérents ainsi que par la tendance à la décentralisation de la négociation collective.

En Grande-Bretagne, les syndicats ont été durablement affaiblis pendant l’ère Thatcher. Le taux de syndicalisation a fortement diminué depuis la fin des années 1970; il s’élève désormais à 29%. Par ailleurs, en l’absence de partenariat social organisé, les relations entre les employeurs et les syndicats sont régies par le rapport de forces, d’où la difficulté pour les syndicats britanniques d’affirmer leur rôle.

Compte tenu des taux de syndicalisation et de la taille de la population active de chaque pays, le nombre de personnes syndiquées varie d’un peu plus de 3 millions en Belgique à 11,7 millions en Italie. Le montant des cotisations, fixé par chaque syndicat, soit sous forme forfaitaire, soit en fonction du salaire, est généralement de l’ordre de 12 euros par mois pour les actifs (sensiblement plus élevé en Suède et plus faible en Grande-Bretagne). La somme des cotisations versées par les adhérents représente par conséquent des montants considérables, de l’ordre d’un milliard d’euros par an par pays (un peu moins en Belgique). La concentration syndicale étant relativement forte, ces ressources octroient aux principales organisations syndicales une autonomie et une puissance financières remarquables. L’autonomie financière est illustrée par le constat que les cotisations constituent plus de 80% des recettes des syndicats. Si l’on y ajoute les autres ressources propres, essentiellement générées par les actifs des syndicats, cette proportion est généralement supérieure à 90%.
 
 


Taux de
syndicalisation
Nombre
de syndiquées
en millions
Ordre de grandeur
des cotisations
en millions €
Belgique
65%
3,2
400 
Allemagne
29%
8,9
1 300 
Grande-Bretagne
29%
7,3
1 000 
Italie
25% (50 avec retraités)
11,3 (avec retraités)
1 100 
Suède
83%
3,9
900 
France
8%
1,8
190 

Tableau 3. Source: Rapports de l’IGAS sur le financement des syndicats de 2004.
 

Il faut aussi souligner que si les taux de syndicalisation désignent le ratio actifs syndiqués sur population active, dans certains pays, les syndicats regroupent de nombreux inactifs. 50% des adhérents des syndicats italiens par exemple sont des retraités, ceci explique le 25/50 du tableau.

La préservation d’un nombre d’adhérents suffisant et de l’autonomie financière qu’il garantit est vitale aux yeux des syndicats pour éviter, d’une part, la perte de leur représentativité et, d’autre part, une crise financière grave. La plupart des syndicats détiennent un patrimoine considérable mais les dépenses courantes sont essentiellement couvertes par les ressources issues des cotisations. La baisse du nombre d’adhérents, observée particulièrement enAllemagne et en Grande-Bretagne, engendre par conséquent des difficultés financières. Les syndicats concernés ont alors recours à diverses stratégies: diminution des coûts par la réduction des effectifs (la confédération des syndicats allemands, le DGB, par exemple), fusions de syndicats (Grande-Bretagne, Allemagne, Suède) ou politiques actives de recrutement. En Grande-Bretagne, il n’est pas rare que les syndicats se fassent ouvertement concurrence, en dépit de l’unité syndicale au niveau confédéral.

Dans aucun des pays étudiés, il n’est envisagé que l’État intervienne pour résoudre les difficultés financières des organisations syndicales. Le développement d’une offre de services est un instrument essentiel de recrutement et de fidélisation des adhérents. Le salarié doit être convaincu de l’intérêt personnel que représente pour lui l’adhésion à un syndicat (c’est nous qui soulignons). Dans les pays étudiés, la stratégie essentielle de recrutement consiste en le développement d’une large gamme de services, correspondant aux besoins des salariés. L’offre de services des syndicats comprend communément l’information et le conseil sur les relations professionnelles collectives (contenu des conventions collectives) et individuelles (mutation, augmentation salariale...); la protection juridique en cas de litige avec l’employeur; des assurances diverses à des tarifs préférentiels (habitation, voyage...); la compensation de la perte de revenus en cas de grève approuvée par le syndicat. La Suède et la Belgique retirent un bénéfice considérable, sous forme de nouvelles adhésions, de leur participation à la gestion de l’assurance chômage (1). En Italie, les syndicats proposent une assistance à la constitution des dossiers de demandes de prestations sociales, dont le caractère indispensable a été reconnu par l’État. Ce rôle des syndicats explique que la part des demandeurs d’emploi parmi les adhérents des syndicats suédois et belges et celle des retraités dans les syndicats italiens soient particulièrement fortes  (2).

Quelle que soit la nature des instances représentatives du personnel, les représentants reconnus dans l’entreprise disposent, dans tous les pays étudiés, de crédits d’heure et de moyens matériels mis à leur disposition. Ceux-ci sont généralement garantis par la loi, mais parfois par une formulation générale. Ainsi, en Grande-Bretagne, en Suède et en Allemagne, les employeurs sont contraints d’accorder des crédits d’heure qui soient "raisonnables", compte tenu des nécessités de l’activité syndicale, d’une part, et de l’entreprise, d’autre part.

La quantité exacte des moyens est alors précisée dans les conventions collectives de branche ou d’entreprise. Les résultats sont très variables: les salariés suédois notamment bénéficient de conditions beaucoup plus avantageuses que leurs homologues britanniques. Et ces moyens ne servent pas à l’activité syndicale hors de l’entreprise, comme cela est le cas en France. Certains salariés peuvent se consacrer à plein temps à l’activité syndicale. Il s’agit néanmoins uniquement de l’activité syndicale directement liée à la défense des intérêts des salariés dans l’entreprise. Il n’existe par conséquent pas de mises à disposition de salariés auprès des structures locales ou nationales des syndicats; en France, de très nombreux permanents syndicaux sont mis à disposition par l’État, les organismes de sécurité sociale et des entreprises privées ou publiques sans aucune base juridique.

Dans les cinq pays étudiés, la représentation des salariés dans l’entreprise et la participation à la négociation collective à tous les niveaux sont conçues comme étant au cœur de l’activité syndicale. Ceci est notamment vrai dans les pays où les systèmes de négociation collective sont très développés et exigent un fort investissement en moyens humains de la part des syndicats (Belgique, Suède). La participation à la négociation collective et à la gestion d’organismes paritaires n’est pas considérée comme une mission d’intérêt général. Et l’étude insiste bien sur ce fait fondamental: l’activité syndicale ainsi définie est financée par les ressources propres des syndicats, c’est-à-dire les cotisations associées aux revenus financiers. Il n’est pas fait appel à des subventions de la part des pouvoirs publics.

Dans chaque pays, la mission a pu identifier une mission d’intérêt général déléguée aux syndicats:
      le paiement des allocations chômage en Belgique;
      la gestion de l’assurance chômage en Suède;
      l’information et l’assistance à la constitution des dossiers de demande de prestations sociales en Italie;
      la formation des demandeurs d’emploi en Allemagne (cette fonction n’est pas exclusivement remplie par des organismes rattachés aux syndicats);
      la promotion de la formation professionnelle en Grande-Bretagne.

Les pouvoirs publics participent au financement de l’exercice de ces missions. Cependant, les syndicats sont contraints de constituer des personnalités juridiques. Les flux financiers en direction des syndicats sont interdits et un contrôle vigilant est exercé sur le respect de cette séparation. En Grande-Bretagne, la promotion de la formation professionnelle est assurée directement par des représentants syndicaux, désignés à cet effet, mais les crédits publics ne peuvent être utilisés que pour le cofinancement de projets qui ont été au préalable approuvés par une commission. A l’exception de la Grande-Bretagne, les syndicats ne sont pas tenus à des obligations de transparence de leurs comptes.

Le rapport s’attache ensuite à détailler les caractéristiques de chaque pays étudié.

En ce qui concerne l’Allemagne, le taux de syndicalisation est en baisse depuis plusieurs dizaines d’années. Désormais de l’ordre de 28,7% en 2001, soit 9 millions d’adhérents, dont 35% sont des non actifs (retraités, demandeurs d’emplois), il est relativement faible par rapport aux autres pays européens. Ce taux était de 40,6 en 1991, 35% en 1995 (après la réunification). Ce pays se caractérise par une très forte concentration syndicale en confédérations peu nombreuses. A titre d’illustration, la principale confédération allemande, le DGB (Deutsche Gewerkschaftsbund qui syndique en majorité des fonctionnaires et dont les syndicats qui lui sont affiliés ne se font pas concurrence. Elle regroupe 83% des personnes syndiquées), comptait 7,9 millions de membres en 1989, 11,8 millions au lendemain de la réunification, 8 millions en 1999 et 7,4 millions en 2003. En revanche, les deux autres grandes confédérations allemandes, le CGB (Christlicher Gewerkschftbund d’obédience chrétienne) et le DBB(Fédération des fonctionnaires allemands), n’ont pas été affectées par la diminution du nombre de membres, le DBB enregistrant même une augmentation du nombre d’adhérents de 16% pendant cette période. Aujourd’hui, l’Allemagne se situe dans le groupe des pays européens ayant un taux de syndicalisation relativement faible, aux côtés de la Grande-Bretagne, des Pays-Bas et de la Grèce.

Au Royaume Uni, le taux de syndicalisation est de 28,9% en 2003. Il diminue depuis la fin des années 1970 (39% en 89). On constate une absence de partenariat social et d’un système de négociation collective formellement organisé. Une loi du gouvernement travailliste de 1999 oblige les employeurs à négocier avec un syndicat dès lors qu’il apporte la preuve du soutien de la majorité des salariés. Les cotisations représentent de loin la première ressource des organisations syndicales avec des ressources générées par les actifs des syndicats.

Les quatre grandes organisations sont l’UNISON (avec 1,3 million de membres principalement dans les services publics), AMICUS avec 1,2 millions de membres principalement dans le secteur privé industriel, le T and T (Transport and General Workers Union) avec 850 000 membres surtout dans le transport, et GMB General Municipal Boilermakers’Union.

Les principales organisations syndicales regroupent ainsi 7 millions de membres soit 96% des salariés syndiqués et sont regroupées au sein d’une confédération unique, Trade Union Congress ou TUC (58 syndicats, 6,2 millions d’adhérents selon le rapport Perruchot), mais il y a une forte concurrence interne (par exemple, les enseignants ont le choix entre 5 syndicats dont 3 sont affiliés au TUC).

Les syndicats britanniques parviennent à conserver de l’influence dans la vie publique grâce aux étroites relations, surtout financières, qu’ils entretiennent avec le parti travailliste. En effet ils constituent des financeurs importants du parti travailliste, mais ce rôle diminue puisque le taux de financement du parti travailliste par les syndicats est passé de 90% en 1988 à 30% dix ans plus tard.

En Suède, le taux de syndicalisation y est de 83% et est stable depuis les années 70. Il est parmi les plus élevés en Europe avec le Danemark et la Finlande. 3,9 millions de syndiqués se regroupent dans 3 grandes confédérations.

56% des syndiqués appartiennent à la Confédération syndicale suédoise LO soit 1 892 000 membres; 31% se trouvent dans la confédération générale des cadres ou TCO soit 1 276 000 membres; et enfin 11% sont dans la confédération des travailleurs intellectuels de Suède ou SACO (ingénieurs, enseignants, etc...) soit 556 000 membres.

Les syndicats jouent un rôle prépondérant dans le système de négociation collective qui est très développé dans ce pays.

En Belgique, le taux de syndicalisation, de l’ordre de 65%, est stable depuis les années 70. La Belgique fait partie des 5 pays européens les plus syndicalisés avec la Roumanie, la Suède, le Danemark et la Finlande.

Les syndiqués regroupent 44% des employés, 59% des services publics, 95% des ouvriers, mais il y a un nombre important de non actifs (les demandeurs d’emplois, syndiqués à 88%, et les retraités).

Ce niveau tient à la fois à des facteurs culturels et à la nature et à la qualité de l’offre de services des syndicats. Ces derniers sont regroupés dans trois grandes confédérations, chacune incarnant une tendance idéologique différente: la Confédération des syndicats chrétiens (CSC) avec 1,7 millions d’adhérents et 16 centrales professionnelles; la Fédération générale du travail de Belgique (FGTB), d’obédience socialiste, regroupe 1,2 millions d’adhérents et 7 centrales professionnelles; la Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB) compte 750 000 membres, dont le quart dans les services publics. Au total, ces trois organisations regroupent 3 150 000 membres dont 2 238 000 actifs et 912 000 non actifs.

Les syndicats belges se distinguent aussi par la nature et la qualité des autres services qu’ils offrent à leurs membres (services d’information sur le droit du travail et les conditions de travail, d’assistance juridique gratuite, en cas de conflit individuel du travail, et proposent des aides sociales complémentaires). Le niveau du taux de syndicalisation, conjugué au nombre réduit d’organisations syndicales, détermine la puissance des syndicats dans un système de négociation collective très développé en Belgique. Mais il faut tout de même nuancer le propos quand on sait que les cotisations sont, dans une proportion significative, indirectement financées par les employeurs, publics et privés, par le biais des primes syndicales. Dans les secteurs où ces primes existent, elles remboursent plus de la moitié de la cotisation aux membres En garantissant le remboursement d’une majeure partie de la cotisation, la prime syndicale constitue une puissante incitation à l’adhésion à un syndicat ou du moins à la fidélité à ce syndicat. Il s’agit là d’une différence importante par rapport au chèque syndical tel qu’il existe dans certaines entreprises françaises: l’obtention de la prime est conditionnée en Belgique à l’affiliation à un syndicat. Au total, les primes syndicales représentent environ 150 millions d’euros et peuvent être considérées comme un mode de financement indirect des syndicats par les entreprises.

L’État intervient essentiellement en tant qu’employeur public en versant des primes syndicales, en accordant des mises à disposition et en versant des subventions au titre de la formation syndicale dans le secteur public. Les autres crédits octroyés par l’État aux organisations syndicales sont très marginaux. Les cotisations ne font pas l’objet d’une déduction fiscale (comme cela est le cas en France). En conclusion, les ressources des syndicats proviennent pour 75% des cotisations (avec les primes syndicales versées par les employeurs aux affiliés, soit 150 millions d’euros sur les 400 millions d’euros de cotisations) et pour 25% des frais d’administration de la caisse d’assurance chômage.

En Italie, le taux de syndicalisation est de 50% pour une population active de 24 millions; mais sur ces 12 millions d’adhérents, 50% sont des retraités: le taux effectif passe donc à 25% de la population active. Le taux d’adhésion a augmenté de 1993 à 2003. La CGIL et la CISL ont ainsi connu une progression de 1% de 2002 à 2003. Mais cette progression s’explique surtout par la part de plus en plus importante des retraités: 18% en 1980, 50% en 2003, alors que le taux parmi les actifs ne cesse de diminuer depuis la fin des années 1970 (49% en 1978, 25% en 2003), ceci pouvant s’expliquer partiellement par la désindustrialisation et le vieillissement de la population italienne. Les syndicats sont donc fortement impliqués dans la défense du système des retraites et le niveau de vie des retraités. Nous ajoutons que s’ils sont "fortement impliqués", ils ne sont pas pour autant efficaces, l’âge de départ à la retraite est reculé par le gouvernement chaque année! L’Italie qui était la championne d’Europe du départ précoce à la retraite, va battre tout le monde pour la longévité au travail.

Les trois principales confédérations sont donc la CGIL, la CISL, l’UIL qui comptent au total 11 568A000 adhérents dont 5 645 000 actifs et 5 923 000 retraités.

La CGIL, Confederazione Generale Italiana del Lavoro, prédominante dans le secteur industriel, regroupe 15 fédérations; elle compte 5 516 000 adhérents dont 2 505 000 actifs et 3 011 000 retraités.

La CISL, Confederazione Italiana Sindacato lavoratori, regroupe 16 fédérations; elle compte 4 183 000 adhérents dont 1 993 000 actifs et 2 190 000 retraités.

L’UIL, Unione italiana del Lavoro, compte 1 869 000 adhérents dont 1 147 000 actifs et 722 000 retraités.

Il existe aussi des confédérations plus petites qui revendiquent 6 millions d’adhérents mais ces chiffres apparaissent exagérés, le chiffre le plus communément admis est de moins de un million d’adhérents, car le prélèvement à la source des cotisations au profit du syndicat est le mode le plus répandu. Ce qui permet de connaître le le nombre de leurs adhérents.

En l’absence de comptes consolidés des organisations syndicales, la mission s’est efforcée de reconstituer, de manière très schématique, les principales ressources des organisations syndicales italiennes. Les montants indiqués dans le tableau ci-dessous ne sont que des ordres de grandeur. La reconstitution a été faite de la perspective comptable et ne tient pas compte des mécanismes de répartition internes dans chaque confédération. La mission n’a pas été en mesure de valoriser les crédits d’heures ainsi que les mises à disposition de moyens matériels.
 
 

Estimation des ressources des organisations syndicales

Ensembles
des adhérents
Retraités
seuls
Cotisations syndicales
1 065 M€
400 M€
Subventions publiques
aux patronati
300 M€
 

Tableau 3: Les patronati ont des comptabilité distinctes de celle des syndicats.
 

Au total, le système de financement des organisations syndicale italiennes se caractése par les éléments suivants:
- De l’ordre de 1,1 milliard d’euros par an, les cotisations syndicales constituent la principale ressource des syndicats italiens. Associées aux revenus propres générés par les actifs financiers, elles représentent plus de 95% des recettes.
- L’enjeu principal pour les syndicats réside dans le maintien d’un taux de syndicalisation garantissant des ressources propres par le biais des cotisations.
- Pour assurer leur attractivité les syndicats ont développé des services nombreux d’assistance à  leurs adhérents.
- Ils bénéficient surtout de la gestion de services pour l’ensemble des Italiens pour le compte de l’État. La gestion des patronati, et dans une moindre mesure des centres d’assistance fiscale, fournit l’occasion à tout Italien d’entrer en contact avec un syndicat pour l’accomplissement d’une formalité administrative (pensions, allocations familiales, accidents de travail,etc...). Bien que ne tirant pas profit direct du financement public qu’ils perçoivent (au contraire le coût de gestion de ces services serait plus importante que la subvention versée par l’État), les syndicats en bénéficient indirectement grâce au nombre important de nouvelles adhésions qu’ils réalisent par l’intermédiaire des patronati  (3).
- Les employeurs sont tenus de fournir aux représentants syndicaux les moyens nécessaires à leur action dans l’entreprise, sous forme de crédits d’heures et de moyens matériels. Les dispositions législatives, formulées de manière générale, sont précisées dans les conventions collectives.
- Dans le secteur public, il existe une pratique répandue de mises à disposition de salariés en faveur des organisations syndicales régionales ou nationales et basée sur les conventions collectives.
- Il n’existe pas de financement spécifique de la part des collectivités locales ou des organismes paritaires, ni de subventions publiques directes aux syndicats et d’aide fiscale. La quasi généralisation du prélèvement à la source des cotisations, retenues sur le salaire brut par les employeurs, peut s’apparenter à une contribution patronale au financemen des syndicats. (Dixit le rapport. Nous soulignons ce passage car notre parti a dénoncé cette trahison dès que la "delega" a été proposée).
- En l’absence de mécanismes d’enregistrement des syndicats, pourtant prévus par la constitution italienne mais rejetés par les organisations syndicales, celles-ci ne sont soumises à aucune obligation de transparence de leurs comptes. Elles s’en remettent aux dispositifs statutaires de contrôle interne par les adhérents.
 

Les propositions de l’épais rapport Perruchot ?

Nous y voilà. «Il ressort des investigations conduites par la commission que les mécanismes de financement des organisations syndicales et professionnelles sont structurellement opaques, non par souci délibéré de cacher quoi que ce soit, mais en raison de modalités d’organisation qui leur sont propres», commente le rapport Perruchot de 229 pages.

Il va donc formuler des propositions pour les aider à rentrer dans le rang sur le modèle des pays voisins. Ces derniers en effet sont parfaitement intégrés, comme nous l’avons vu plus haut, à l’entreprise, n’ont pas de missions nationales, sont financés principalement par les cotisations des adhérents. Nous ajouterons que ce sont par conséquent des rouages bien huilés du "dialogue social" c’est-à-dire de la collaboration de classe; mais ceci ne signifie pas qu’il n’en est pas de même des organisations françaises, bien au contraire. Celles-ci, en fonctionnant avec l’argent de l’État (financement des permanents, la déduction fiscale de 66% de la cotisation syndicale pour ceux qui sont soumis à l’impôt sur le revenu, les subventions publiques pour la formation syndicale, subventions aux syndicats d’exploitants agricoles), et des entreprises (heures de délégation, locaux, encarts de publicité dans les revues syndicale.), des mécanismes légaux du paritarisme (participation des "partenaires sociaux" à de nombreux organismes dits d’intérêt général (Ces organismes indemnisent les partenaires sociaux, patronaux et syndicats de salariés pour leurs vacations et leurs déplacements, leur fournissent des subventions dans le cadre de la formation professionnelle.), et secondairement avec les cotisations, coûtent désormais trop cher.

Les financements du paritarisme sont presque exclusivement réservés aux cinq centrales syndicales qui bénéficient de la représentativité au plan national et interprofessionnel. Ce sésame acquis, la répartition des mandats et des financements apparaît assez égalitaire – ce qui au demeurant peut être discuté au regard des différences de nombre d’adhérents et d’audience électorale entre ces organisations.

La question fondamentale est de savoir pour le rapport comment faire payer les salariés, les "amener" à se syndiquer plus et à financer eux-mêmes les chaînes qui les lient au char bourgeois. «La reconnaissance du syndicalisme en France apparaît donc moins comme une conquête autonome que comme une conséquence de la démocratie politique». Et «cette histoire explique la faiblesse du taux d’adhésion dans notre pays, tant aux organisations représentatives des salariés qu’aux organisations patronales». Le tour est joué! La France est un pays de grande démocratie! Voyons comment la bourgeoisie va s’y prendre pour contourner le problème.

L’obligation de publication de leurs comptes comme l’exige la loi de 2008 n’est pas encore parfaitement au point et certaines organisations sont bien loin d’y être parvenues du fait même de l’organisation centralisée et du coût financier que cela demande. Une des raisons est la diversité des organisations qui ne se sont pas suffisamment regroupées selon le modèle allemand, belge, suédois. Il est ainsi rappelé que la CGT regroupe 30 fédérations professionnelles, 95 unités départementales, 20 comités régionaux, quelque 900 unités locales et près de 16 000 syndicats, soit 25 000 à 30 000 entités si l’on inclut les sections d’entreprises; que la CFDT rassemble 13 fédérations, 21 unités régionales, 110 unions départementales ou interprofessionnelles de secteurs, 3 unions confédérales et quelque 1323 syndicats professionnels; que FO comporte 29 fédérations et 104 unions territoriales et départementales; que la CFE-CGC réunit 101 structures départementales, 26 régionales, ainsi que environ 350 unions locales et 25 structures professionnelles; que la CFTC comprend 16 fédérations, 99 unités départementales, 22 unités régionales et près de 1145 syndicats; que l’UNSA fédère 8 pôles d’activité professionnelle et 95 unités départementales interprofessionnelles; que la fédération syndicale Solidaires regroupe24 syndicats nationaux de tailles très diverses, 100 sections départementales et 25 conseils fédéraux régionaux (CFR).

Et comme le paritarisme concerne aussi les représentants patronaux, le rapport s’en prend également longuement aux organisations d’employeurs – sur lesquelles le rapport de 2006 avait fait l’impasse – qui sont nombreuses, non centralisées et qui profitent tout autant des subsides du paritarisme; et leur financement apparaît aussi occulte puisque les cotisations ne rentrent que pour 20 à 50% de leurs revenus. «(...) sur la foi de l’audition, le 13 octobre 2011, de Mme Laurence Parisot, le MEDEF compte aujourd’hui 75 fédérations adhérentes et 112 MEDEF territoriaux ou équivalents, outre-mer compris. Les fédérations ou branches professionnelles regroupent, à travers 600 organisations sectorielles, des entreprises d’une même profession. De même, à en croire les indications de son président, le 12 octobre 2011, la CGPME comprend 16 confédérations représentant 355 syndicats de métiers, 63 fédérations indépendantes et 91.973 adhérents directs dans les départements, d’où un total de 587.385 entreprises affiliées. L’UPA, pour sa part, fédère – par le biais de ses trois confédérations professionnelles adhérentes – quelques 50 fédérations professionnelles et 4500 syndicats».

Concernant les organisations de salariés, le rapport s’en prend particulièrement aux temps pleins syndicaux: «les droits syndicaux mis à la disposition des organisations syndicales représenteraient entre 30 000 et 40 000 équivalents temps plein (ETP)». et on estime que: «en additionnant les 40 000 détachements, les salariés des confédérations, leurs militants et leurs bénévoles, ce sont plus de 50 000 personnes qui travaillent à temps plein pour les syndicats français». Et dans la fonction publique, les enquêteurs estiment que les moyens attribués à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique représentent entre 720 millions et 1,343 milliard d’euros, avec 17 000 équivalents temps plein soit 0,34% des effectifs de la fonction publique, 4 à 5 fois plus que dans certaines entreprises privées. D’autre part on parviendrait donc à une estimation moyenne d’environ 645 000 mandats.

La "modernisation des droits et moyens syndicaux" a été acté le 29 septembre 2011 suite à une négociation avec les organisations syndicales de la fonction publique, et la loi n° 2010-751 du 5 juillet 2010 relative à la rénovation du dialogue social et comportant diverses dispositions relatives à la fonction publique, propose un certain nombre de mesures de transparence et d’évolutions.

Voici le tableau du rapport Perruchot (p. 166) sur le coût des syndicats:
 
 

Le financement annuel de l’activité syndicale en France

Montants (euros)  En % du total
I. Ressources propres 
110-160 millions 
3 à 4
Cotisations nettes de l’avantage fiscal 105-155 millions
3 à 4
Pour mémire: cotisations brutes 
230-280 millions
 
Recettes publicitaires 
3 millions 
0,1
Produits financiers
3 millions 
0,1
II. Moyens provenant des employeurs 
3,5 milliards 
Près de 90%
Décharges horaires issues du code du travail
1,6 milliard
40
Subventions de fonctionnement aux comités d’entreprise gérés par des élus sur liste syndicale 
0,5 milliard
13
"0,08 pour mille" (congé de formation) 
20,6 millions 
0,5
Fonctions publiques, sur la base de 250 euros par agent (cf. rapports d’inspection) 
1,34 milliard 
35
III. "Paritarisme" 
Au moins 80 millions 
2
Formation professionnelle (OPCA et FONGEFOR)
33 millions 
1
Autres organismes paritaires 
35 millions 
1
Accords de type "accord UPA"  (4)
15 millions 
0,4
IV. Subventions publiques (hors droit syndical) 
Au moins 175 millions 
4 à 5
État:
170 millions 
4 à 5
- dont formation syndicale
27 millions 
0,7
- dont formation prud’homale
9 millions 
0,2 
- dont CESE  (5)
3,1 millions 
0,1
- dont IRES  (6)
3,5 millions 
0,1
- dont réduction d’impôt 
125 millions
3
Collectivités territoriales
5-10 millions
0,1 à 0,2
TOTAL 
3,8 à 3,9 milliards 
100%

On le voit, dit le rapport, c’est presque 4 milliards d’euros qui sont vraisemblablement consacrés annuellement à l’activité syndicale en France. L’essentiel de ces moyens (90%) semble provenir de l’exercice du droit syndical dans les entreprises et la fonction publique, tandis que les contributions directes des syndiqués sous forme de cotisations n’en représenteraient, après déduction de l’aide fiscale, que 3% à 4%; mais il est vrai que le temps consacré bénévolement au militantisme par les syndiqués, au-delà des décharges dont ils peuvent bénéficier, n’est pas non plus estimé... Or les syndicats coûtent beaucoup moins cher dans d’autres pays.

Le rapport Perruchot fait en conclusion 29 propositions pour "moderniser" les syndicats français. Ces propositions portent sur les moyens de clarifier les comptes des syndicats et donc en faire un meilleur contrôle, d’évaluer les temps pleins syndicaux de façon à apprécier exactement leur coût, de contrôler par l’État la formation professionnelle qui est à réformer (!), et de demander la même clarté pour les comités d’entreprise. Évidemment là où le bât blesse est la question de savoir comment augmenter le nombre de cotisants: en rendant plus attractif l’adhésion et en incitant au syndicalisme de services sur le modèle de la Suède, la Belgique, l’Italie, mais sans en reprendre les moyens... qui sont inapplicables en France dit le rapporteur! Pas question de lâcher aux syndicats la caisse de chômage!

Mr Thibault de la CGT a raison d’avoir peur! Quant à la CFDT, comme d’habitude, elle a montré patte blanche et est prête à devenir le rouage bien huilé et le moins onéreux de la soumission sociale! Aujourd’hui la bourgeoisie française n’a plus besoin d’un paritarisme aussi onéreux pour soudoyer les pseudo-représentants des salariés. La crise économique est là avec son cortège de chômage et d’attaque de tous les acquis sociaux. Les conventions d’entreprise sont à remettre en cause, et avec elles les négociations par branche dont la substitution par des négociations par entreprise permettrait au patronat de jouer plus à l’aise la division entre les salariés. Quant aux manigances du clan au pouvoir, il est clair que derrière la dénonciation de la cherté du syndicalisme à la française, il s’agit de mettre la main sur les caisses des organisations paritaires dont le contenu dépasse de loin le prix payé par l’État et le patronat pour acheter les pompiers syndicaux.

Quant à nous, nous ne verserons pas une larme pour ces syndicats qui ont perdu tout lien avec la classe qu’ils prétendent défendre. La bourgeoisie va se charger de faire un grand nettoyage; tant mieux! Les travailleurs n’ont rien à y perdre. C’est l’arbre qui cache la forêt! Derrière tout ce bruit, il s’agit plutôt en effet de porter une nouvelle atteinte à la législation du travail que des générations entières de prolétaires ont acquis parfois au prix de leur vie et que les centrales syndicales traîtres ont laissé le plus discrètement possible dépérir au nom "de la gestion raisonnée" de l’économie nationale, c’est-à-dire de la collaboration de classe.

Les prolétaires doivent reprendre le flambeau de la lutte syndicale et cela en créant des organismes syndicaux de classe qui ne mange pas à la même table que le patronat. L’attaque des classes dominantes se fait de plus en plus brutale contre leur niveau de vie, leurs conditions de travail, avec l’habituel cortège de chômage, de désert des emplois pour les jeunes, de stigmatisations des "différences" entre les prolétaires, et de terreurs médiatiques de toutes sortes. Prolétaires, il n’y a pas d’autre issue possible que de reprendre le drapeau de la lutte abandonné par les centrales syndicales en s’organisant dans des syndicats de classe et derrière le parti de classe international!
 
 


1. En Belgique et certains pays scandinaves (Suède, Danemark, Finlande) les salaires sont soumis au système dit "de Gand" mis en place en 1900 en Belgique et qui conditionne le versement des allocations chômage à une adhésion syndicale préalable.

2. Ainsi au Mexique ou en Corée du Sud, l’embauche dans certaines entreprises est conditionnée par l’adhésion au syndicat d’entreprise.

3. Les patronati: ce sont des organisames d’assistance sociale à but non lucratif, constitués et gérés par les confédérations ou par les associations nationales de travailleurs, et qui ont l’objectif d’informer, assister les travailleurs dépendants et autonomes, les retraités et les citoyens en général.

4. UPA: Union Professionnelle Artisanale pour l’artisanat et le commerce de proximité regroupe 1 200 000 entreprises françaises.

5. Comité Économique et Social Européen: organe consultatif de l’Union européenne créé en 1957 composé de 344 membres européens représentant les travailleurs, les employeurs, et divers.

6. IRES Institut de Recherches Économiques et Sociales: au service des organisations syndicales des travailleurs, créé en 1982, il est géré par la CFDT, la CGT, la CGT-FO,l’UNSA éducation, la CGC-CFE, CFTC. Ses ressources sont assurées par une subvention publique.